Mais venons-en au présent et à quelques unes de ses figures caricaturales. Dans les mines de Potosi en Bolivie, de pauvres hères enduits de poussière, les yeux hagards, les joues gonflées de coca, le ventre saturé d'alcool à 95 degrés, ces hommes donc, dans l'odeur âcre de la dynamite, l'atmosphère humide de la terre qui partout suinte, croule, vomit ses filons d'étain, ces sacrifiés de la société font des offrandes à la Pachamama en compagnie "d'El Tio", le diable de la mine, représentation anthropomorphe au long pénis dressé dans l'antre étroit, comme s'il voulait féconder une terre devenue stérile, écorchée, aux entrailles lourdes, à l'utérus révulsé dans un effort pour dire l'annonce de la mort qui, partout, rôde et souvent, prend des vies alors même qu'elles sont tout juste en voie d'accomplissement. On commence à travailler très tôt dans les mines de la désolation !
C'est la fin de la semaine, l'épilogue d'un travail éreintant, mal rétribué, aliénant, reconduisant les hommes à une condition animale, ne les assignant qu'à être de vagues tubercules enfouis au fin fond d'une profonde inconscience. Là, on est au cœur du monde chtonien, tout près des forges primitives de Vulcain, mais la mythologie n'est plus chantée par un rhapsode à la voix harmonieuse, elle n'est plus cette belle fiction qui fait rêver les hommes et rend lyriques les poètes. Tout s'est inversé, la terre a retourné sa calotte, l'utérus s'est étréci aux dimensions de la misère urticante, il ne sera plus fécondé par quoi que ce soit, fût-ce le ridicule pénis érectile du Tio; il n'y aura plus de généalogie possible alors que le non-sens s'est invaginé dans le moindre repli de glaise. Offrande à la Pachamama donc, feuilles de coca, giclées d'alcool, filets de bière, cigarettes allumées. Les mineurs sont ivres, ivres d'alcool, de fatigue, d'existence délétère. Les mineurs n'ont plus d'humain que leur addiction à l'alcool frelaté, à la drogue, et leur relation à cette déesse fantomatique est empreint d'une telle étrangeté, d'une telle démesure tragique qu'elle ne peut que mettre mal à l'aise ceux qui en sont, parfois, les spectateurs sidérés. Mais il faut d'abord rappeler qui est cette Pachamama à laquelle les Boliviens sont encore attachés même si un confondant syncrétisme mêlant religion chrétienne et traditions ancestrales est la plus évidente explication s'offrant à nous afin de comprendre pourquoi cette Terre-Mère, le plus souvent s'enlace avec la figure de la Vierge Marie.
Représentation de la Pachamama.
Source : Wikipédia.