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21 septembre 2016 3 21 /09 /septembre /2016 07:34

 

En attendant Léda.

 

 LEDA

 Photographie de Marc Lagrange.

 

                                                                    

   Image hautement troublante qui surgit dans cet espace de clarté alors que nous ne nous y attendons pas. Car comment faire surgir cette Belle Abandonnée parmi la multitude des couches qui accueillent son corps sans en être nous-mêmes affectés ?

  Cette présence est déroutante. D'abord par la forme qui nous livre une pose si inhabituelle de l'effigie féminine. Abandon, volupté, attente, subtile provocation. Le regard est là qui nous dévisage en même temps qu'il nous interroge. La doucement Livrée à quelque scène mystérieuse osera-t-elle seulement aller au bout de son apparente subversion ? Osera-t-elle enfreindre les codes de la morale, sortir des sentiers battus d'une sexualité usée jusqu'à la corde, se disposer à n'être peut-être qu'un objet de désir, une marionnette dont quelque inconnu pourrait tirer les fils ?

  Ensuite la réflexion s'approfondit mais ne trouve guère d'issue. Nous ne voyons pas nettement quelle est la nature du projet dont la Disponible, l'Offerte est saisie. S'agit-il d'une simple silhouette empreinte d'affinités esthétiques ? Existe-t-il, dans cette mise en scène, un essai de dire ce qui résulterait d'une simple valeur métaphorique de la photographie, à savoir la confrontation d'une nudité avec une vérité sur le point de se déployer ? Les zones d'ombre feraient-elles signe vers le mystère qui drape toute chose, singulièrement les sentiments, l'amour, ses cryptes, sa dimension proprement énigmatique ?

  Y aurait-il une allusion à quelque œuvre picturale, et nous pensons naturellement au célèbre tableau de Matisse : "Luxe, calme et volupté" ?  Ou bien l'apparence bourgeoise de l'appartement nous conduirait-elle vers quelque rivage littéraire, du côté de Guermantes, dans une manière de société raffinée toute disposée aux confidences, aux susurrements du bout des lèvres, aux minauderies de tous ordres dont l'aristocratie connaît les secrets ?

  Ou bien se mettrait en avant un simple érotisme, ouvert, affirmé, manière de posture impudique voulant dire le règne de la beauté, mais aussi l'urgence à lui faire emprunter une assise royale, à faire reculer les sombres gesticulations de la finitude ?

Ou bien encore la Sublime Apparition serait-elle le simple jouet de notre imaginaire, l'élaboration laborieuse d'une mince folie, la matérialité fantasmatique prenant soudain corps ?

  Mais les questions ne résolvent rien à seulement être posées. Regardons  l'image dans son évidente signification. Le thème en est, on ne saurait le nier, mythologique. C'est bien de Léda et du Cygne dont  il s'agit. Donc des amours d'une Mortelle et d' un Dieu. Car, nul ne l'ignore, sous l'écume blanche des ailes se dissimule Zeus lui-même. Et voici le tour de force du mythe, sa puissance incantatoire, son éminente disposition à porter au regard, à l'entendement, ce que la réalité, jamais n'oserait faire.

  Ici, grâce au symbole, tout se délite, depuis les conventions morales jusqu'à l'assomption libre de l'imaginaire en transitant par quantité de perceptions, de sensations, d'aventures dont l'existence, jamais, ne pourra  nous faire l'offrande. Le recours au mythe vole au secours non seulement des individus, mais aussi des foules qui l'utilisent comme grand défouloir, comme pratique moyen de catharsis, comme exutoire de tout ce qui pourrait se produire de l'ordre du fâcheux, du tragique, de l'incompréhensible.

  Représenter une telle scène équivaut à faire allonger les humains sur le divan du psychanalyste et à y faire couler toutes les sources qui sourdaient et bouillonnaient à l'intérieur faute de mots disponibles pour traduire l'indicible. Ainsi, regardant certaines œuvres, nous ne faisons que crever abcès et bubons sous la seule forme acceptable qui soit : celle du silence.

  Les Belles Endormies qui contemplent ces images sont des Léda en puissance, alors que les Beaux Amants qui les courtisent attendent, fébrilement, la condition de possibilité de l'acte. Mais, toujours, la morale est sauve qui interpose le mythe, si belle invention humaine !

Et, pour conclure, et afin de ne pas vous désespérer, que ce beau poème de Rémy de Gourmont ceigne votre front des plus belles palmes qui soient !

 

 

Léda

 

L'innocente Léda baignait ses membres nus, 
La grâce de son corps enchantait l'eau du fleuve, 
Et les roseaux, saisis de troubles inconnus, 
Chantaient une chanson aussi vieille que neuve,

Quand le cygne parut, blanche nef sur le fleuve.

Quand le cygne parut, blanche nef au front d'or, 
Léda tressaillit d'aise et demeura songeuse, 
Puis, lentement, sans bruit, elle revint au bord
Et se coucha dans l'herbe, à l'ombre d'une yeuse ;

La bête s'avançait, belle, ardente et songeuse.

La bête s'avançait, belle, ardente, et d'un air
Si royal et si mâle, que Léda fut charmée
Et qu'elle regretta, dans l'erreur de sa chair, 
De n'être pas un cygne, afin d'en être aimée

Parmi l'ombre et parmi l'herbe molle et charmée.

Parmi l'ombre et parmi l'herbe molle et les lys, 
Léda se ploie au poids de l'animal insigne, 
Tout ruisselant encore des eaux de Simoïs, 
Et son corps étonné frissonne et se résigne

A ne caresser que le plumage d'un cygne.

 

Remy de GourmontPaysages spirituels, 1898.

 

                                                                                  Source : La cave à poèmes.

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