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12 août 2013 1 12 /08 /août /2013 10:04

 

Car connaître est pécher !

 

 

ccep.jpg 

 La Chute de l'homme 

par Lucas Cranach,

illustration du xvie siècle

Source : Wikipédia.

 

 

 Eh bien, voilà, dès que l'on parle "péché", soudain, tout se met à être "capital", comme si le péché était la chose la moins partagée du monde, situé en haut de quelque Annapurna, hors de vue, inaccessible. Et pourtant, cette petite chose peccamineuse, nous lui flattons le ventre au moins autant de fois que nous mangeons, buvons, aimons et, peut-être respirons. Seulement c'est tellement coalescent à notre humaine condition, c'est si intimement entrelacé à nos actes, nos pensées, nos projets, nos fantasmes, nos envies, nos désirs, nos tentations, nos frustrations, nos objurgations, nos palinodies que nous n'en apercevons même plus la silhouette. Ça se réfugie derrière nos sourires, ça se terre bien au chaud dans nos rictus sociaux, ça se dissimule dans la main que l'on tend, dans la caresse que nous prodiguons, dans la dénégation que nous opposons dès que la faille menace de s'ouvrir et de jeter au plein jour le revers de nos sentiments.

  Mais n'allez pas en déduire trop tôt que tout ceci résulte d'un manque de considération de l'Autre, d'une volonté de le dénigrer ou bien de le réduire à l'état de simple objet. Ceci, bien au contraire, signe un excès d'amour, un trop plein de juste passion dont nous voudrions faire l'offrande à la mesure de ce manque congénital qui creuse un vide en nous et dessine l'étrange brume de l'abîme. Car, tous, toutes nous sommes sous l'emprise de ces passions qu'on dit volontiers mortelles ou, à tout le moins, contraires aux règles de la morale.

  Mais la morale est une invention de l'homme, une pure abstraction et il nous faut le recours au symbole afin d'en percevoir la trace signifiante. La morale, c'est comme une pomme dans laquelle nous enfouirions notre museau obséquieux alors qu'un INTERDIT serait édicté de toute éternité par lequel cet innocent fruit porté à la dignité  serait l'essence même de la connaissance. Et nous voilà revenus auJardin d'Eden et à la virginité première dont l'homme, la femme étaient censés habiller leur nudité.

  Le problème là dedans, c'est la présence du "troisième homme", Dieu, sauf son respect, lequel introduisait lui-même, par son regard Transcendant, par son jugement altier, le ver dans la pomme. Car, si Adam et Eve portaient déjà en eux le germe de la perversion - comment, d'ailleurs eût-il pu en être autrement ? à moins d'une génération spontanée -, ils pouvaient en jouir réciproquement, sans conséquence fâcheuse. Leurs relations fussent-elles empreintes de ce que, plus tard, on jugeaitpeccamineux, rien n'en aurait altéré la qualité, la spontanéité, le don de soi et ainsi, de péché en péché, comme par un simple décret de la nature, les choses seraient allées d'elles-mêmes sans que le cours de l'univers en eût été affecté.

  Imaginons un instant une manière de "scène primitive", genre d'archétype et d'anticipation de la"Comédie humaine" dont, d'ailleurs les Protagonistes dans leur innocence native n'auraient nullement alertés. Prélevant des fruits sur l'Arbre de la connaissance du bien et du mal, les dégustant sans arrières pensées, d'un façon quasiment "virginale", Adam aussi bien qu'Eve; Eve aussi bien qu'Adam auraient pu se livrer au péché sous de multiples manières sans même que leur conscience manifestât quoi que ce fût à leur égard. Car, en direction de cette pomme, ou bien de Celui, Celle qui fait face, manifester orgueil, avarice, envie, colère, luxure, paresse, gourmandise c'eût été "vivre" tout simplement dans une bien naturelle inclination, "exister" serait pour plus tard.

Et si nos ancêtres avaient pu poursuivre leur aventure généalogique dans cette optique généreuse, sans entrave d'aucune sorte, nous les hommes, les femmes d'aujourd'hui, serions en train de commettre toutes sortes de péchés, la paix dans l'âme - celle-ci, sans doute n'aurait eu aucune raison d'apparaître -, le corps en repos, l'esprit en roue libre. Le problème, du reste, est venu d'un conflit entre nature etculture. Ainsi naissait la première version édénique de la dialectique. Car il y avait paradoxe et paradoxe majeur à déguster un fruit porteur d'interdit, stigmatisé par les ruses du serpent, jugé par Dieu.

  La morale était ce "tiers-instruit" - allusion à l'ouvrage du génial Michel Serres -, qui, s'immisçant entre les consciences, "instruisait" simplement du fait, culturel entre tous, que certains actes pouvaient recevoir l'approbation divine, d'autres étant fortement prohibés, avec, tout au bout, les flammes coruscantes de l'Enfer. "L'enfer, c'est les autres" disait Sartre à bonne raison, à commencer par l'Autre Majuscule, ce sublime empêcheur de tourner en rond, à savoir Dieu. Dans la nature, l'Eternel-Dieuavait jeté une poignée de sable, la culture, et tout le système s'était enrayé, produisant de la différence dans ce qui, à l'origine n'en avait pas; la différence établissant sa mortelle ligne de partage entre le Bien et le Mal. Désormais, il y aurait les actions vertueuses, les délictueuses. C'est pour cette raison, qu'aujourd'hui même, pensant, écrivant, lisant, nous réinvestissons symboliquement le paradigme d'une connaissance marquée du sceau du péché.

Pensant, nous péchons. Ecrivant, nous péchons. Lisant, nous péchons. Existant nous péchons.

Cependant nous continuons à pécher puisqu'aussi bien c'est inscrit au profond de la destinée humaine et qu'une vie sans péchés serait comme un sexe nu, une simple désolation dont nous ne souhaiterions jamais que nos yeux soient abreuvés.

 

 

 

 

 

 

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