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9 décembre 2013 1 09 /12 /décembre /2013 08:47

 

C’est Djamil, le père qui parle le premier et, dans la fraîcheur qui tombe, ses paroles sont des fuseaux de vapeur montant vers le plafond où courent les ombres grises. Ses mots franchissent la barrière des dents, des lèvres, avec lenteur, hésitation, genres de bulles qui éclatent dans la cendre à peine visible du jour. Djamil se plaint de l’usine de bois qui l’emploie si rarement, sauf parfois après les tempêtes, lorsque les grumes sont à terre, encore pourvus d’éclats de branches et qu’il faut enlever les écorces à la plane, les charger au levier sur les remorques puis fixer le chargement avec les cordes de chanvre. Alors les mains sont usées jusqu’à la trame, parcourues de lézardes bleues et deviennent fibreuses, semblables au bois qui les a meurtries. Il n’y a pas eu d’orage cet été, les arbres n’ont pas souffert. Ni hêtres ni charmes à abattre et si peu de troncs à scier.

  Trois, quatre jours de travail par mois. Puis le reste du temps à errer dans le Terrain vague, à donner des coups de pied dans les pierres ponces, à monter vers les carrières, jusqu’au « Volcan », grand trou circulaire où l’on trouve parfois des cartons, de vieilles planches que l’on fait brûler sur place et l’on suit longuement du regard les filets de fumée qui se fondent dans l’air bleu, aspirés par la taie immobile du ciel. Et l’on enfouit les mains dans ses poches et l’on serre ses doigts sur le dernier billet, on joue à user, les unes contre les autres, les rares pièces qui en tapissent le fond. Cette rudesse, cette âpreté de la vie, Djamil les a en lui comme les rochers sont tapissés de mousse et il sait que son quotidien est l’aboutissement de la longue dérive du peuple des tsiganes. En lui sont gravés les stigmates : sur sa peau couleur de brique, dans ses yeux sombres comme la nuit, l’arc charbonneux de ses moustaches, sa façon même de marcher, de parler, de respirer, de faire grincer les cordes du violon, de plier les soufflets de l’accordéon lorsque la grande confrérie des Roms se réunit.

 

 

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