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3 novembre 2022 4 03 /11 /novembre /2022 08:31
L’Aventure de l’Oeuvre

« Destin d’une Nature Morte »

Barbara kroll

 

***

Qu’en est-il de l’Art ?

Qu’en est-il de la Création ?

Qu’en est-il du destin des Œuvres ?

 

   C’est à cette triple question qu’il nous faut essayer d’apporter quelque réponse, certes une approche seulement, quelques essais de compréhension. Cependant interroger ces trois thèmes revient, en définitive, à n’en interroger qu’un puisque, aussi bien, ces notions sont des notions-gigognes, de simples entités qui, s’emboitant, se déterminent l’une l’autre, pour aboutir à une sorte de Point-Source qui est celui de l’existence de l’Esthétique, sa condition de possibilité en quelque sorte. Pour paraphraser la célèbre formule de Leibniz, nous pourrions dire en une question saisissante :

 

« Pourquoi y a-t-il de l’Art et non pas plutôt Rien ? »

 

   Poser la question d’une œuvre, revient toujours à poser la question du fondement sur lequel elle repose, à savoir cette donation de sens qui se définit tel un Absolu au motif que l’Art ne peut qu’être de cette nature, sinon n’être Rien. Certes raisonner ainsi consiste à « placer la barre » si haut que nul n’en pourra franchir l’obstacle. Et pourtant, c’est bien une question de hauteur, d’élévation qui traverse toute œuvre, fût-ce de manière inconsciente. Il ne viendrait à l’idée de personne d’imaginer l’Artiste devant son chevalet ou son espace de création, accomplissant un travail de routine au cours duquel, nul arrière-plan ne se dessinerait qui viserait l’exigence la plus haute, la finalité la plus ambitieuse. N’est nullement Artiste celui qui, jamais, n’a rêvé de produire un pur chef-d’œuvre. Et ceci ne résulte ni d’une tendance à la paranoïa ni à la mégalomanie, ceci est inscrit dans le trajet même de tout Artiste. On n’est pas Artiste pour Rien.

  

   Dans le travail de création, c’est le Soi qui est totalement engagé et rien ne serait pire que de l’hypostasier, le réduire à l’exercice d’une fonction subalterne. Cependant qu’on n’aille pas imaginer quelque stature divine qui tracerait son aura tout autour de Celui-qui-crée. Celui-qui-crée, est, comme vous, comme moi, à la recherche de son être et sa conscience est entièrement tendue vers cet effort de dépassement de Soi qui est la condition même de l’atteinte d’une possible complétude. Or rien d’autre que le geste artistique n’est plus à même de répondre à une telle quête. La reproduction à l’infini d’une pratique qui, par bien des côtés, semble confiner à l’obsession confirme, s’il en était besoin, cette décision permanente d’être-Soi-plus-que-Soi. Aussi, lorsqu’on se penche sur l’œuvre finie de tel ou tel Artiste, nous avons l’impression que ce dernier, sous la conduite de son génie, n’a fait que tracer ce chemin lumineux qui, de toute éternité n’attendait qu’un geste, une main, un regard pour en actualiser la forme.

  

   Mais, bien évidemment, tout Artiste est « humain, trop humain », ce qui ne l’exonère en rien de subir les tourments liés à sa condition, de ne porter l’œuvre sur ses « fonts baptismaux » qu’à l’issue d’un itinéraire hésitant, parfois semé d’embuches. Mais notre tendance à l’idéalisme et notre sourde volonté de nous identifier en quelque manière à l’Artiste, nous incitent toujours à penser que la conduite de l’œuvre, depuis ses prémisses jusqu’à sa forme accomplie, s’est déroulée sous les auspices de la grâce ou, à tout le moins, d’une facilité qui signe l’inestimable valeur du don. Bien entendu cette attitude n’est rien moins que naïve et occulte tout ce qui se dissimule derrière le rideau, ne conservant que la partie visible de la scène avec ses vives lumières et le jeu bien huilé de ses Acteurs. Quiconque a créé, a ressenti en Soi les hésitations, les retournements, les renoncements, les brusques espoirs, les surprises, l’inquiétude, enfin toute la palette des états d’âme dont l’œuvre montrée au grand jour est la résultante sans que l’on ne puisse deviner, sous la pellicule de vernis, les reprises, les failles, sinon les abimes qui, à chaque coup de pinceau, risquaient d’en altérer définitivement l’avenir. Et il est heureux qu’il en soit ainsi afin que l’œuvre soit issue du plus profond d’une humanité. Rien ne serait plus dommageable que le soi-disant « chef-d’œuvre » exhibé par les « vertus » de robots sans âme, de simples machines, simple matière n’appelant que matière.

  

   Donc toute œuvre d’art, suppose en elle, à titre de traces, tous ces manques, ces imperfections, ces remises en question qui vont parfois jusqu’à métamorphoser l’œuvre au point que son terme ne se situe nullement dans le sillage de l’intention qui a été à l’origine de son motif de départ, parfois même une totale inversion du thème se produit-elle comme si c’était l’œuvre elle-même qui avait décidé de « prendre la main », d’orienter la recherche dans telle direction plutôt que dans telle autre. Ici, le titre de l’œuvre « Destin d’une nature morte », indique clairement que ce qui est placé aujourd’hui sous nos yeux, qui devait à l’initiale être « nature morte », s’est retrouvé sous la figure d’un « nu », ce qui ne laisse d’interroger  sur la nature du geste artistique, de sa relativité, de son avenir résultant d’aléas, de surgissements inopinés, de faits de hasard, si bien que cette marge d’incertitude remettrait en question jusqu’à la notion de génie, laissant le champ libre, en quelque sorte, à une manière d’indétermination située hors de la volonté humaine.  

  

   L’indication que nous livre Barbara Kroll est intéressante à plus d’un titre et une simple description de son œuvre nous permettra peut-être de repérer, sous la Forme Féminine, quelques éléments de la Nature Morte esquissée, comme si, de façon inconsciente, mais combien résolue, le pinceau avait été guidé par une force interne résultant des pulsions intimes de l’Artiste. Ainsi, chacun porterait-il en Soi, une invisible trame qui déterminerait aussi bien ses gestes que ses choix, ce qui veut dire qu’un Destin nous surplomberait dont la coalescence à notre être propre le dissimulerait au regard de notre conscience. Des trajets, inaperçus, des lignes de force, des aimantations, des flux, des remous, enfin toute sortes d’énergies imaginables nous guideraient sur la voie qui est la nôtre, qui, du reste, ne peut être que la nôtre puisqu’elle elle est le sol dont notre nature est constitué. Postuler ceci est, à l’évidence, amputer cette fameuse liberté humaine dont nul ne sait si elle existe à titre de réalité ou bien si elle n’est qu’une utopie flottant au large de nos yeux.

  

   Essayons donc de repérer quelques pistes et décrivons ce que nous délivre l’image, quittes à interpréter et à dépasser ce qui y était inscrit au départ, au motif que nous n’avons guère d’autre choix. La seule évidence figurale, ce qui demeure du « premier jet », seulement cette feuillaison verte, un fond noir sur lequel se détache l’aire d’une nappe blanche au travers de laquelle nous devinons des formes dont, cependant, il ne nous est guère possible de déterminer le tracé, de déduire la présence de tel ou tel objet.

 

L’Aventure de l’Oeuvre

Natures Mortes

Barbara Kroll

 

 

   Nous n’avons d’autre recours que d’interroger d’autres Natures Mortes créées antérieurement par cette Artiste afin de fournir à notre imaginaire les matériaux qui ont été occultés sur la toile qui nous occupe. Sous les effacements, il nous plairait de deviner la ligne simple d’un tabouret, un sac à main pendu au mur, des bottes fourrées, un siphon d’eau de Seltz, la ramure d’un arbre, le noir d’une paire de ciseaux, le jaune éteint d’une bouteille de soda, un récipient partiellement rempli d’eau sur lequel repose un pinceau. De prime abord, cette énumération tirée de l’observation d’autres toiles, ne peut que paraître arbitraire. Et pourtant, en raison du « principe des affinités » (ceci est une constante dans mon interprétation des Autres, des Choses, du Monde), dont chacun est porteur, le sachant ou à son insu, une logique singulière du sens pointe en cette direction plutôt que dans une autre. Comme tout un chacun, tout Artiste porte en Soi ce lexique particulier, cette constellation imageante qui nourrit son imaginaire et habite ses œuvres. Parcourez les créations de Barbara Kroll et vous y découvrirez bientôt des thèmes qui vous seront familiers, ces thèmes qui nervurent les toiles, les conduisent de telle manière, lui octroient sa personnalité, autrement dit c’est bien d’un style dont il s’agit, d’une façon de s’entendre avec la peinture, de la placer au-devant de soi sous une certaine lumière.

  

   De cette Nature Morte devenue Nu, tâchons encore d’en dire quelques mots. La coiffe est blond Vénitien qu’un nœud semble attacher tout contre l’oreille. Le visage est bleu de Nuit. Des lunettes de soleil dissimulent les yeux. L’ensemble du corps est une seule ligne bleue d’une sobre élégance. Traçant peu, elle dit beaucoup. La barre des lèvres est un rouge assourdi, identique à un désir en attente, celui d’y porter la drogue douce d’une cigarette. Cette cigarette, tenue au bout de la tige blanche des doigts, on la perçoit à peine. Le cou et le haut des épaules se confondent avec l’obscurité du fond. Puis il y a une violente césure, le corps scindé en deux territoires distincts : le haut versé à l’ombre, le bas ouvert à la lumière. Est-ce à dire, symboliquement, l’ambivalence de toute chose, de tout être, de toute création ?

  

   En un premier temps de sa présence, l’on veut la Nature Morte, ses fascinants objets, son réel plus que réel, l’assurance d’immuable dont elle est investie cette Nature figée, étroitement limitée à la géométrie de sa quadrature. Puis en un second temps, c’est l’Humain qui perce, s’impose de tout le poids de sa naturelle transcendance, de la conscience qui en détermine les contours. Alors, parvenus à l’aval de l’œuvre, en sa phase terminale, que demeure-t-il de ses prémisses, des premiers traits qui en avaient façonné le visage en amont ? Tout est-il soudain effacé, comme si rien n’avait existé que l’image de cette Femme Nue en sa perfection ? Non, en réalité, rien ne s’est effacé de ce qui a paru à l’initiale de la création. Un sens implicite continue son chemin. Paire de ciseaux, pinceau, sac, ramure des branches, tout est là bien plus que nous ne pourrions le penser. Ce phénomène est-il quasi magique ? S’agit-il d’une surinterprétation de ce qui se dit réellement dans la toile ?

  

   Non, ce qui est à postuler ici en tant que vérité, c’est la permanence du sens, son trajet inaperçu, son avancée à bas bruit dans la conscience des hommes et des femmes. L’image de la paire de ciseaux, du pinceau ne trouvaient leur propre sens qu’à être nommés, à être pensés.

 

Or toute pensée n’existe

qu’à titre de Langage. 

Or le Langage est un Universel

qui s’oppose au particulier.

Or l’Universel a un destin infini,

une valeur d’absolu.

Rien de l’Universel

ne s’efface jamais.

Rien de ce qui a été Forme

 dans l’œuvre de Barbara Kroll n’a disparu,

déjà dans le cercle de sa conscience,

dans la nôtre aussi puisque

notre cause commune est

cette co-originarité

qui est le miroir

à double face en lequel

Je deviens Autre.

Je suis Moi

et Moi-en-l’œuvre

et Moi-en-l’Autre.

 

Qu’en est-il de l’Art ?

Qu’en est-il de la Création ?

Qu’en est-il du destin des Œuvres ?

 

Tout est en Tout

Nature Morte en le Nu

Moi en tant que Voyeur

En sa forme accomplie

Qui a souvenance

De son Destin

Oui, de son Destin

 

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