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7 juin 2022 2 07 /06 /juin /2022 10:34
Beauté se donne de soi

Photographie : John Charles Arnold

 

***

“La vraie beauté est si particulière, si nouvelle,

qu'on ne la reconnaît pas pour la beauté.”

 

Marcel Proust – « Le côté de Guermantes »

 

                                                                         *

 

[Quelques mots pour dire la poésie – Mes habituels Lecteurs ou Lectrices reconnaîtront vite (du moins en supputé-je la possibilité) quelques formes, thèmes, lexiques qui traversent habituellement ma prose sinon ma « poésie ». Voyez-vous, je prends des précautions car, là où je trouve « poésie », peut-être ne trouverez-vous rien de tel. Mais écrire est un tel acte intime qu’il parle tout d’abord à l’Écriveur, souvent à défaut de parler au Lecteur. Alors, ces redites, ces métaphores anaphoriques, ces énonciations qui pourraient aussi bien passer pour des tics de langage, est-ce simple forme, est-ce en ceci que consiste un style ? Je crois, qu’en première approximation, il faut y déceler un genre de manie obsessionnelle pour la raison essentielle que tout acte de création relève de cette constante itération. N’en relèverait-elle que l’invention aussitôt s’épuiserait et que, la fontaine tarie, vous ne verriez plus mes mots faire leurs ruissellements et que je ne m’appliquerai plus avant à martyriser mon clavier pour tenter de lui arracher quelque signification.

   Sachez que lorsque je me trouve face à un acte d’énonciation, lequel depuis bien longtemps a privilégié l’image comme support, que cette image précisément présente des sèmes qui me paraissent immédiats, certains mots surgissent tels des diables sortis de leur boîte et s’imposent comme les seuls possibles. Sans doute question d’affinités, de posture face à ce qui doit être dit de telle ou de telle manière. Faites donc ceci : lorsque vous écrivez et qu’agacé par une répétition que vous jugez trop fréquente et donc inutile, vous interrogez le dictionnaire des synonymes, y trouvez-vous d’emblée votre compte et une satisfaction subséquents ? S’il en est ainsi, vous êtes une heureuse ou heureux Écriveur et j’en suis un bien malchanceux.

   La langue est riche d’une infinité de nuances qui se déclinent de telle ou de telle façon. Mais prenons un exemple. Je veux écrire la phrase suivante : « De quelle origine langagière sommes-nous les héritiers », en vue d’exprimer ce qui est originel dans ce que, aujourd’hui, nous utilisons afin d’émettre une pensée la plus exacte possible. Interrogeant les listes du Centre National des Ressources Techniques et Lexicales (CNRTL pour les Initiés), la liste suivante m’est proposée, se substituant au mot « origine », dans un ordre décroissant de pertinence : « commencement, principe, source, seuil, cause, famille, germe, etc… » Vous conviendrez avec moi que si les premiers mots, bien que très approximatifs, « commencement, principe, source » pourraient à la rigueur convenir, il ne saurait en être de même pour « seuil, cause, famille » dont on voit bien qu’ici la langue se gauchit, qu’elle aura bientôt recours à une longue périphrase, laquelle, loin de tourner la difficulté, n’aboutira qu’à une formule bâtarde, sinon ridicule.

   Ni « principe langagier » ne serait conforme, car le langage, loin d’être un Principe est une Essence. Pas plus que « cause langagière » ou « famille langagière ». Toute formulation autre que « origine langagière » se donne à la façon d’un emplâtre sur une jambe de bois et, bien plutôt que de fausser la langue, dire « origine » deux fois, au moins le souci d’exactitude aura été respecté. Or toute langue ne peut se donner qu’en vérité. Voici, ceci n’était nulle justification, seulement éprouver quelque plaisir à faire des mots ce qu’ils doivent être, non des outils boiteux, mais des essences dignes d’être pensées.]

 

                  *

 

Beauté se donne de soi

N’attend rien de nous

Beauté parce qu’elle

Est Beauté

 

Nous, les Erratiques Figures

Qu’avons-nous à dire qui, déjà, n’ait été dit

Nous, les Distraits par nature

Qu’avons-nous à entendre qui, déjà, n’ait été entendu

Nous, les Dormeurs debout

Qu’avons-nous à voir qui, déjà, n’ait été vu

 

Tout, nous avons Tout à voir et le savons

Depuis la pulpe intime de notre chair

Mais tout voir est un travail, une contrainte à installer

Dans le cours tranquille de nos vies

Alors nous batifolons de-ci, de-là, d’un air de rien

Comme si l’exister ne consistait qu’en ceci

Marcher sur des chemins de fortune et ne se soucier

Ni de la Cigale aux ailes transparentes

Ni de la Glace en son reflet bleu turquoise

Ni de l’Edelweiss en sa mousse blanche

 

Beauté se donne de soi

N’attend rien de nous

Beauté parce qu’elle

Est Beauté

 

Toujours nous vivons par défaut

Seulement occupés de notre ego

Narcisses en devenir et c’est l’intime lumignon

De notre conscience que nous visons

Nul ailleurs qui pourrait nous dire le monde en sa

« multiple splendeur » selon l’expression du Poète

Seulement, Cigale, Glace, Edelweiss ne se trouvent

Nullement sur notre trajet par hasard

Ils sont tout-autour-de-nous-en-nous

Ils sont, tout à la fois, leur monde et le nôtre

Ce serait une erreur de nous croire séparés

Vivant au sein de notre autarcie

Comme la châtaigne dans sa bogue

Un lien invisible mais un lien fort nous relie au réel

Et cela nous fait penser à un long fil d’Ariane qui tresserait

Parmi les choses, une invincible et forte alliance

Cigale, Glace, Edelweiss

Je ne peux les ignorer

Ils sont là, tout comme moi

Ils se donnent généreusement

Sur la grande scène du Monde

Disant ces choses simples, nous disons aussi

De manière immédiate, la Beauté qui naît

Du modeste, de l’inaperçu et, de cette manière

Devrait nous interroger, ne nous laisser nul répit

Que nous n’en ayons fait l’inventaire

Reconnu l’inouïe singularité

Nous ne pouvons frôler la Beauté et poursuivre

Notre route l’âme tranquille, l’esprit serein

 

Beauté se donne de soi

N’attend rien de nous

Beauté parce qu’elle

Est Beauté

 

Beauté se donne comme le pâle rayon du jour

Beauté se donne comme le pollen échappé du calice

Beauté se donne comme la fine brume sur l’eau du lac

 

C’est un matin de neuve lumière

Un matin pareil aux autres

Et pourtant unique en sa venue

L’air est encore frais

Qui embrume les joues

Les poudre d’un talc léger

On remonte le col de sa pelisse

On se rassemble en soi

Mais l’oreille attentive

L’œil aux aguets

La peau offerte à ce qui se présentera

Le Soleil, mais est-ce le Soleil

Cette boule blanche, nébuleuse

On dirait l’œil du Cyclope mais d’un Cyclope bienveillant

Qui nous guidera sur le sentier des choses à connaître

Car connaissance est Beauté pour qui ouvre son cœur

Pour qui laisse vibrer la lame de sa sensibilité

Nul rationnel, ici, qui viendrait

Interposer l’aridité du concept

Non, seulement une seule ligne fluide

Du monde à qui-je-suis, une souple entente

Une nervure de l’être se donnant de soi

 

 

Certes, on est aux aguets, mais non dans

L’inquiétude du chien sur la trace du gibier

Certes on est à l’affût, mais à l’affût de la Beauté

Une inclination de soi à la libre entente du Monde

Tout autour du Soleil, tout autour de la divine Lumière

Un air gris, diffus, la dentelle d’un songe

Tout est au repos et les Hommes

Ne se manifestent nullement

Ils sont pareils à de sombres Vigies

Dressées dans leurs cônes d’ombre

Sur le bord d’une couche

Dans l’anonymat

Peut-être la perte de soi

 

Beauté se donne de soi

N’attend rien de nous

Beauté parce qu’elle

Est Beauté

 

Au recueil de la Beauté, il faut ce lien direct avec elle

Nul Témoin qui en altèrerait la pureté

Car pour être entière, la Beauté a à être pure

semblable à un cristal,

Å une eau de roche,

Å un air léger des cimes

Oui, Beauté est cime, oui Beauté

Est silence, oui, Beauté est recueil

Nulle Beauté n’est en partage

Toujours elle est à Quelqu’un destinée

Et épuise son être à même ce don

Pour autant elle n’est nullement enfuie

Elle se ressourcera et trouvera, à nouveau

Une âme disposée à l’accueillir

 

Des graminées, elles sont si discrètes

Il faut s’y accorder, chercher à dessiner leurs contours

Des graminées sont levées sur la rive du lac

Elles sont le métronome immobile d’un temps immuable

Elles sont les sentinelles d’un instant qui s’éternise

D’un idéal qui trouve le lieu de sa manifestation

Sur l’autre rive, au travers d’un mince tulle

Des arbres croit-on, dont on devine la fine résille

Elle vient à nous avec humilité

Nous en sentons la diaphane onction

Tout contre le creux de notre attente

Bientôt la plénitude sera là

Elle fera son chant secret

Son bruit de comptine dans le gris de la chambre

Où l’enfant dort pelotonné au milieu de ses rêves

Il sourit aux Anges, il sourit à la Beauté

 

Beauté se donne de soi

N’attend rien de nous

Beauté parce qu’elle

Est Beauté

 

Que ne devenions-nous ces enfants au sommeil traversé de lumière

Que ne devenions-nous de simples espoirs flottant dans l’azur

Que ne devenions-nous des jarres gonflées d’huile précieuse

 

De la Beauté nous sommes en attente, mais ne le savons pas

De la Beauté nous sommes tissés, mais toujours l’oublions

De la Beauté nous sommes entourés et nos mains sont vides

 

Cigale, Glace, Edelweiss

Soleil, Graminées, Lac

Six mots se lèvent pour dire la Beauté

Saurons-nous au moins l’entendre

Saurons-nous au moins la reconnaître

Saurons-nous au moins la saisir

 

Beauté se donne de soi

N’attend rien de nous

Beauté parce qu’elle

Est Beauté

 

 

 

 

 

 

 

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