Esquisse
Barbara Kroll
***
sur une feuille,
te disais-je,
un trait de plume
qu’un simple vent
pourrait biffer.
De ceci, tu n’avais cure,
t’accrochant à l’existence
telle la feuille au rameau.
Cependant les jours passaient.
Cependant l’été tirait à sa fin
et l’amour, entre nous,
n’était plus que
cette vacillante
étincelle qui ne tarderait
à s’abîmer dans l’invisible
poussière du temps.
Les jours à la suite des jours,
ton image devenait cette illusion,
cette manière de spectre
à lui-même étranger,
une non-venue à l’heure
pleine de son Destin.
Un gribouillis
sur une feuille,
te disais-je,
un trait de plume
qu’un simple vent
pourrait biffer.
Une étrange aventure,
me disais-tu,
l’eau d’une aquarelle se
perdant au ciel des saisons.
De ceci, je n’aurais pu
m’offusquer, te sachant
simple oiseau de passage
bientôt repris par
l’insistance de l’air.
Cependant les heures
s’écoulaient.
Cependant l’automne
s’annonçait
et le miroir dans lequel
nous percevions
nos silhouettes communes
se voilait comme
s’il eût voulu
être à lui-même
sa propre perte.
Un tain de plomb
s’abreuvant à sa
singulière lacune
Ton corps
de gloire
et d’amour,
quel était-il alors,
sinon cette griffure d’encre
dont eût pu souffrir
un parchemin ?
Tes cheveux,
ces minces lanières
épousant la doline
de tes épaules ?
Le haut de ton buste,
ce tellurisme d’une pointe
acérée qui entaillait ta chair ?
Ta main, cette courbure
qui saisissait le Rien,
s’agrippait à la margelle
du Néant ?
Si bien que je t’aurais crue
pareille à la visitation
d’un rêve,
au badigeon blanc
de l’imaginaire
sur l’illisible
marécage
du doute.
Un gribouillis
sur une feuille,
te disais-je,
un trait de plume
qu’un simple vent
pourrait biffer.
Je te disais ma nuit,
les blafardes échardes
qu’y imprimait
ton glissement
sur la pointe des pieds,
un effleurement
qui, jamais,
ne parvenait au
bout de son être.
Toujours en fuite
de qui il était.
Tu me disais le peu
de réalité qu’il y avait
à poursuivre une union
qui n’était qu’une
réminiscence éteinte,
une lumière se distrayant
de la courbe des yeux.
Cependant les secondes
s’égrenaient.
Cependant l’hiver arrivait
avec sa résille de froid,
avec les boules d’ouate
de son frimas.
Nous n’avions plus
ni repère ni raison
d’espérer au-delà
de qui-nous-étions,
d’erratiques Figures
en quête d’elles-mêmes
alors que le crépuscule
nous visitait à la façon
de traits de graphite
qu’une gomme
anonyme effacerait.
Oui, effacerait
et nous ne nous
reconnaissions plus
sur cette lisière
infinie d’indigence.
Il nous fallait demeurer
malgré tout sur le
pourtour des choses,
tâcher d’en éprouver
le cercle virtuel.
Quand, enfin,
pourrions-nous
nous éprouver
tels des Vivants ?
Nous étions si loin,
l’absurde si près dont
nous sentions
l’haleine froide.
Tant de givre
et une brume
glaçait nos bouches.
Je te disais le Silence.
Tu me disais l’Absence.
Un gribouillis
sur une feuille,
te disais-je,
un trait de plume
qu’un simple vent
pourrait biffer.