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6 mars 2022 7 06 /03 /mars /2022 09:15
Jour : événement et saisie

 

Fin d’après-midi au bord du lac…vers Bram #05

 

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

 

    [Remarque liminaire - Cette photographie ne nous déporte de nous qu’à mieux nous faire retourner au sein même de qui-nous-sommes. Ce qui indique qu’elle a la qualité d’une œuvre accomplie. Une œuvre accomplie est ceci qui s’adresse à notre être, le dépose dans le site plénier du monde et le reconduit dans ce pli intime du Soi, afin que du monde adverse il puisse faire un tremplin à destination de sa propre conscience. Car rien n’est reconnu beau en notre for intérieur qu’à la mesure d’une esthétique qui nous est singulière, éprouvée mille fois, rangée dans le creuset des souvenirs. C’est bien au motif que nous avons déjà une expérience sensorielle des choses qu’un sens peut s’animer, celui de la vue essentiellement et faire sens puisque, aussi bien, les homophonies sont signifiantes. Le sens en tant que signification n’est le sens qu’il est qu’à rencontrer les sens en tant que perception, le sens total consiste à réaliser la synthèse percept/concept, autrement dit à nous situer dans le monde à la place exacte d’où nous pouvons voir ce qui nous est autre, ce qui nous est familier et nous-mêmes puisque c’est bien nous qui visons ce qui est devant nous et en prenons possession.]

 

*

 

 

Toujours il nous faut regarder

et dire le monde en sa plus

évidente simplicité.

 Le ciel, oui le ciel,

la demeure des Divins,

la haute voûte céleste,

 l’arche ouverte de l’imaginaire,

 le lieu des sublimes pensées,

 l’espace où s’éploient

les efflorescences de l’Idéal,

le ciel monte très haut,

jusque dans l’illisible noir.

Le ciel se perd

dans sa propre rumeur.

Le ciel s’absente

 à qui il est,

il demeure libre

pour la méditation

 des hommes.

Il est vacance,

disponibilité pour ceux

qui savent voir

et monter jusqu’à lui.

 

 Le ciel est si beau

dans sa vêture de gris.

Le gris est pure élégance,

lui qui médiatise

le Jour et la Nuit,

lui qui se glisse entre

conscient et inconscient,

 lui qui est le milieu des choses.

Le ciel connaît son allégie

 dans son mouvement

de descente vers la Terre.

 Il pâlit, se décolore,

regarde les Hommes

et demeure en silence.

Le ciel est connaissance,

mais connaissance intime,

toujours réfugiée

au loin des regards,

 à l’abri des curiosités.

   

Des nuages si légers

que l’on hésite à les nommer,

ils sont de simples nuées,

 le tissage d’un espoir,

la fin d’un rêve,

 la chute, peut-être,

d’un amour.

Les nuages

nous les aimons

pour leur douceur,

pour leur écume,

comme nous aimons

 la peau de l’Aimée

pour sa soie,

pour son accueil

dans la chute toujours

 mortelle du jour.

 

Au loin sont des collines

ou bien de basses montagnes,

nous ne pouvons

réellement savoir,

tellement leur image

est nimbée de brume,

tissée de souple venue à nous.

Des hommes y vivent-ils ?

Des femmes y aiment-elles ?

Des enfants y jouent-ils ?

Ce relief est précieux dans

son inconsistance même,

 dans sa fuite,

il nous demande

de le comprendre.

Parfois il nous met

au supplice,

lui qui n’est présent

qu’à être ailleurs.

 

Le milieu de l’image,

il est milieu du jour,

donne naissance à l’argile

 où vivent les Mortels.

S’il y a tant de beauté à voir ici,

que ne la perçoit-on

au titre de la Mort ?

 C’est parce que

notre temps est fini

que nous voulons les choses

dans leur plénitude.

Nous ne goûtons le suc des fruits

qu’à le savoir fragile, précaire,

déjà notre palais en a oublié la saveur

qu’une autre saveur fait s’évanouir.

  

Un bosquet de minces arbres

dissimule les montagnes.

Comme s’il y avait

un secret à préserver,

Comme si trop savoir

était une indécence.

Devant le poudroiement

des montagnes,

une large et haute demeure

avec les deux fûts noirs

 de ses cheminées.

Des ouvertures

se laissent deviner,

 d’uniques rectangles d’ombre.

Quelqu’un, à l’intérieur, s’abîme-t-il

 dans la lecture d’un ancien roman ?

Quelqu’un y trace-t-il

des arabesques

sur le blanc d’un Vergé ?

 Quelqu’un y meurt-il

de n’avoir nullement

été aimé ?

 

Oui, Terre est bien

le lieu des mystères,

 le lieu que les Mortels ont choisi

pour y fixer l’étoile de leur destin.

L’image ne nous dit rien de la vie

puisque tout y est immobile,

 tout y est réfugié pour l’éternité.

Tout y est fixité

et c’est à nous, Voyeurs,

d’y placer une histoire,

d’y faire fleurir un chant,

 d’y élever une plainte.

L’espace de notre liberté

est celui-ci, « se faire Voyant »

et garder nos visions

dans le creux le plus secret

de notre être.

Chacun qui regarde

est un monde en soi,

si bien que réalité, vérité,

 ne sont que par nous,

pour nous,

et que les partager

serait les réduire à rien,

les disperser au vent

du cruel ennui.

 

Puis le voyage,

le voyage immobile de ce train

 qui ne semble en partance

que pour lui-même.

 Est-il image fixe du Présent ?

De quel Passé vient-il ?

Vers quel avenir

feint-il de se diriger ?

Tout voyage n’est-il le site,

sur place même,

que d’une aventure

jamais commencée,

 toujours à venir ?

La mesure du temps nous est

 tellement consubstantielle

que nous ne parvenons nullement

 à différer de lui,

à le dire de telle ou de telle manière,

 à tracer une esquisse de son portrait.

Dans ce paysage si paisible,

dans ce paysage

 comme figé dans une glu,

comment le mouvement

pourrait-il trouver à s’inscrire,

comment les choses pourraient-elles

se précipiter ailleurs qu’où elles sont ?

 

Il y a une évidente et grande sagesse

à habiter sur le sol natal,

à lui témoigner fidélité,

à se fondre dans ses racines.

Beaucoup cherchent au loin

ce qui est infiniment près,

infiniment disponible.

Je vous dis, il y a

un infini bonheur

à rester à demeure,

à sentir monter en soi

la pâleur de l’aube,

à sentir se retirer

les ombres du crépuscule,

 à s’ouvrir à la

grande paix nocturne.

 

L’eau du lac est claire,

jusqu’à la limite

d’une transparence.

L’eau reflète le ciel, sa clarté,

l’eau reflète les nuages,

la résille grise des arbres.

L’eau reflète la dimension

 de qui-nous-sommes,

de fragiles constitutions

en instance de devenir autres,

 de s’absenter, d’appeler le Néant

 comme le seul miroir qui, un jour,

pourrait tracer la courbe de notre être.

 

Oui, de notre être.

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