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14 octobre 2020 3 14 /10 /octobre /2020 09:13
L’infinie douceur des choses

‘Courge et poire’

Huile sur Arches, 43X35 cm

François Dupuis

 

***

 

   Ce que, d’abord, il faut faire, se reporter aux hautes lumières d’un été encore présent, en ressentir les lames de chaleur, en éprouver jusqu’au profond du corps l’océan de clarté, le grésillement d’étincelles. On est tout imprégnés de cette onction lourde, on est immergés dans ces ondes qui nous clouent à la falaise inhospitalière des murs. On cherche un refuge hors de soi, on le cherche en soi mais on ne trouve jamais qu’une manière d’abattement, de spirale de feu, de langue mortifère qui pourrait nous conduire à trépas si elle persistait en son être. On cherche, sur le palimpseste usé de sa mémoire, le souvenir d’une fraîcheur, la réminiscence d’une source, la poussée d’un frimas qu’un vent nous apporterait afin de renaître à nous-mêmes.  On est hébétés. On ne comprend plus rien au mouvement du monde. On se tient immobiles dans son esquisse de chair au cas où quelque chose d’aimable voudrait bien se montrer. On se hisse sur les ailes du songe.  On attend.

   Voici, l’automne est arrivé en avance. Il a effacé tous les mauvais souvenirs des mois privés d’R. Il nous a ressourcés à la confluence de ses eaux lentes, attentives à l’éclosion du jour, à son aventure fondatrice de joie, au tremblement de sa lumière d’or, au frissonnement de ses feuilles dans l’eau étale du ciel. Ce que l’on voit, c’est ceci : un tableau d’immédiate félicité. L’instant, qui aurait pu être pétrifié par les gerçures de la chaleur, le voici qui s’annonce sous des voiles d’éternité. En lui nous sommes immergés comme l’est la brindille dormante sur l’eau qui la berce et la conduit sur les rives d’un large estuaire, là où tout est ouvert qui profère le libre jeu des choses et des hommes.

   Nous observons et nous voyons, sur le dais apaisé de la toile, la neuve rutilance du temps. C’est pareil à une ombre qui se serait vêtue de la parure d’une immatérielle présence. La marche sur le bord d’une margelle, un bruissement au contour d’une épaule, un à peine scintillement sur le cercle d’une clairière. Le fond est de pure connivence avec des restes nocturnes, à moins qu’il ne s’agisse des prémisses du jour, les ténèbres s’éclairent déjà du motif de leur disparition. De ceci qui est occulté, qui est muet, se laisse voir le cuir fauve d’une courge. Son attache est une courte spirale qui appelle, demande la courbe légère d’une amitié. Des méridiens plus soutenus en traversent l’écorce à la manière d’un chatoiement, il n’y a nulle blessure à ceci, le simple effleurement d’une ligne d’affection, un trait qui unit, jamais ne partage, un mot d’amitié gravé dans l’écorce des jours, le clignotement d’un iris dans la nuit de l’œil. Ça bouge à peine. Ça a la grâce d’un monde lent. D’une eau de lagune sous l’étain du ciel. D’une amitié qui accueille et sourit. Une ombre légère s’allonge qui dit l’être du fruit en sa native faveur. Un double silencieux, une irisation, une voix voilée dans le calme d’une crypte. Ce fruit si majestueux n’est pas seul. Une belle poire à la forme incurvée s’y repose en confiance. Appui contre appui. La poire, en son vert lumineux, presque phosphorescent, diffuse lentement sa clarté, la communique à qui veut bien la prendre. Or, ils ne sont que deux au monde, les deux fruits-compagnons que relie la touche légère des affinités. Nul besoin de parole. Nul besoin de mouvement. Présence contre présence. Amour contre amour. De Poire à Courge, nulle distance. Mariage d’amour plus que de raison. Deux cœurs battent à l’unisson sous le velours de la peau. Diastole pour diastole. Systole pour systole. Des battements tissés d’harmonie. Des battements à l’unisson.

   Nous avons dit, en mode langagier, le doux surgissement de ces deux êtres tissés d’infini. Qu’en est-il maintenant, de la perspective picturale, de cette beauté qui se donne en partage de la même façon que le fait la source en son mince clapotis, l’oiseau en son battement d’aile, le ciel en son unique transparence ? Car il s’agit de peinture avant tout, de son lexique, peut-être de souvenance car toute œuvre joue en mode pluriel avec les autres œuvres du monde. C’est ceci même qui fait, tout à la fois son individualité, sa singularité et son caractère indissolublement universel. Si elle n’était ceci, alors il lui faudrait renoncer d’emblée à se placer dans le cadre des manifestations esthétiques. Se limiterait-elle à sa pure forme autarcique et elle tomberait dans le premier nihilisme venu, la schizophrénie en sa coutumière geôle.

   Il ne peut qu’y avoir échange, transitivité, reconnaissance réciproque. Telle œuvre particulière fait écho avec telle autre, sur le plan formel, à la hauteur de ses significations internes, de ses conceptions du monde. L’art est une constellation en laquelle s’inscrit toute tentative suffisamment accomplie pour mériter cette épithète. Il y a nécessaire spécularité, renvoi, réverbération, confluence des thèmes et des manières de peindre. Ceci ne veut nullement dire que la trace dans une œuvre, d’une empreinte antérieure, serait pure mimèsis, travail de copiste. Non. Tout Artiste s’est livré avec passion à la tâche, non de reproduire ses Maîtres, bien plutôt de les reconnaître pour tels. Et ceci est heureux au simple motif que les œuvres artistiques doivent constituer une architecture unique au sein de laquelle chaque individu vient apporter son obole. Un genre de Tour de Babel picturale édifiée, pierre à pierre, au cours de l’Histoire.

   Comment cette belle peinture, au subtil chromatisme automnal, peut-elle s’inscrire dans la polysémie de l’Art ? Comment peut-elle témoigner pour elle, mais aussi pour les autres puisque, je viens de le préciser, elle est nécessairement une parmi la symphonie des natures mortes, des portraits, des nus, des scènes pastorales, des paysages bucoliques ou romantiques ? Sans doute, comme toute interprétation, y aura-t-il des approximations, des hypothèses confluentes là ou d’autres ne verront que divergences, des identifications ne reposant que dans le lit d’une pure subjectivité. Et quand bien même, ce qui vient à nous le fait sous le sceau de la multiplicité, de la foule bigarrée, de la vêture d’Arlequin. Et il est heureux qu’il en soit ainsi. Rien n’est pire que la monotonie, le conformisme, la mode suivie d’une façon toute grégaire.

   Dans cette œuvre de François Dupuis, je perçois comme des présences anciennes, des classicismes picturaux, des coloris fonctionnant sur le mode de l’analogie, des inspirations, sans doute plus inconscientes que conscientes chez un Artiste dont l’œuvre est vraie, ce qui ne peut que lui éviter des écueils ou la reprise à l’identique de quelque chose qui fut et trouverait ici, les conditions d’une apparition nouvelle. Je reconnais, convoquer les grands noms de la peinture est toujours geste risqué, parfois même entreprise iconoclaste. Ici je ne propose nullement des recouvrements d’œuvres, je ne procède nullement par homologies qui seraient inappropriées, j’essaie d’extraire des œuvres ce qui peut faire sens commun : une lumière, une ambiance, un état d’âme, la douceur d’une climatique, l’émotion devant ces chefs-d’œuvre que la Nature nous offre, que les Artistes magnifient de l’extrémité de leurs brosses. Du fond généreux de leur passion.

   Ici dans ce que nous pourrions nommer du terme générique ‘d’automnales’, j’aperçois les motifs d’un identique ressourcement. On regardera ceci en guise d’hommage aux Maîtres, non à une quelconque sujétion. Regardant ‘Courge et poire’, je pense aux clairs-obscurs Du Caravage ou de Rembrandt pour ne citer que les plus connus, au jeu subtil de l’ombre et de la lumière qui en constitue la trame. Je pense à la palette terre de Sienne, grège et paille assourdie des ‘Glaneuses’ de Millet. Je pense à la ‘Nature morte à la pastèque’ de Luis Eugenio Meléndez, pour le motif qui y est représenté. Je pense aux couleurs des terres naturelles de certaines peintures rupestres du néolithique. Je pense enfin à la tonalité nocturne de quelques natures mortes de Chardin. L’Art ainsi, pareil à des ruisseaux issus de la même source, coulant vers d’identiques estuaires. Ici il n’y a plus de hiérarchie à reproduire, de choix à effectuer puisque tout participe d’une même intention, donner au beau un cadre pour sa manifestation. Que pourrait-on souhaiter d’autre qui serve mieux la cause de l’Art ? Je suis sûr, pour ma part, qu’en nos songes d’automne, ce multiple flamboiement nous visite. Au réveil l’on ne se souvient plus de rien. Pourtant ces choses ont existé. Nous en portons la trace au fond de nous. Elles sont ineffaçables. Elles ruissellement à bas bruit. Essayons d’en deviner le précieux. Qu’aurions-nous d’autre à faire qui soit si pressé ?

 

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