Photographie : André Maynet
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Ce monde qui nous regarde.
Oui, CE MONDE !
Tout être en soi est
UN UNIVERS.
Une planète, oui,
une constellation d’étoiles.
Tout ceci à la fois
et encore un nombre illisible
de choses.
Nulle existence ne suffirait
à en tracer le mystérieux événement.
Nous les Hommes,
sommes des dormeurs debout,
d’étranges congères prises
dans le froid polaire.
Nous, les Hommes,
sommes des aveugles
aux mains qui tremblent.
Nous avançons
sur un chemin de crête
sans bien percevoir
les bonheurs, les joies
de l’adret,
mais aussi les chagrins,
les tristesses qui habitent
l’ubac.
Nous sommes des êtres
en partage
et notre face est solaire
qui brille
et notre face est lunaire
qui s’efface
et plonge dans le mortel abîme
de la nuit.
Nous sommes des êtres
du voilement,
de l’éclatement,
de la diaspora.
Nos fragments sont épars
dont parfois
nous retrouvons
quelques tessons,
ici sur le visage
d’un paysage connu,
là sur la nuque de porcelaine
d’une femme,
là encore sur la clarté
d’une photographie
qui se nomme réminiscence
et nous fait somnambules
de nos vies,
entre sommeil et éveil,
dans une manière
d’étrange léthargie
qui nous porte aux limites
de notre condition.
Il s’en serait fallu de peu
que nous ne nous prissions pour
« Des séraphins en pleurs Rêvant,
l'archet aux doigts »
dans une étrange
Apparition mallarméenne.
Eternellement, nous serons
des êtres du songe,
des fumeurs de peyotl,
des buveurs d’absinthe.
Nous vivons en Poètes
et ne le savons pas.
Comment vivre en prose
parmi tous les malheurs
du monde ?
De si funestes images
en zèbrent à l’envi
la chair dolente.
C’est une gageure
que de vivre
en lisière de soi
et de n’en être point alerté.
Nous sommes en orbite
sur les effusions de notre aura,
comme si nous craignions
de rejoindre le plein
de notre conscience.
Une lame nous traverse,
une schize incise en nous
deux territoires :
l’un de glaise lourde,
de limon ombreux,
l’autre de rivières célestes
aux reflets de diamants.
Tantôt Matière,
tantôt Esprit,
nous naviguons à l’estime
parmi les écueils du jour,
les pliures des vents,
parfois les scintillements
qui font de nos yeux
des gemmes infinies.
Faisant ceci,
nous ne nous rencontrons
jamais,
ne croisons que des ombres
car nous vivons sur le mode
de la soif que jamais
nous n’étanchons,
de la faim qui, jamais,
ne parvient à satiété.
Il nous faut ouvrir les yeux,
les porter
là où un monde se donne
comme la clé
de notre complétude.
Un boqueteau est levé
dans le ciel.
Le ciel est un souple camaïeu,
un subtil assemblage
de rose-thé et de myosotis.
Une ampoule est vissée
au ciel.
On aperçoit son capot
de tôle noire,
le globe laiteux
de la lumière,
une pureté venant à nous
dans l’orbe du silence.
Ce monde qui nous regarde
EST LÀ
avec sa charge de sens,
avec ses bras couverts
d’encens et de myrrhe,
avec les dons précieux
qu’il nous destine.
Un linge blanc festonne une table,
découpe un beau rectangle de lumière
parmi l’indécision des choses.
Deux sièges vides.
Attendent-ils deux Amants
en quête de l’Autre,
d’eux-mêmes ?
Toujours il s’agit
d’emplissement,
deux êtres s’assemblant
en L’UNIQUE.
Y aurait-il plus belle scène
que celle-ci ?
Emergeant à peine
d’un néant d’ombre,
ELLE qui vient à nous.
ELLE qui vient à ELLE.
Toujours mouvement en écho,
redoublement de l’être
que l’Amour assemble
comme pour des noces
célestes.
ELLE au visage blanc,
si doux, si effacé.
Effacement qui dit plus
que toute parole.
Signes du visage
à peine figurés,
juste une touche,
juste le glissement
d’une intuition.
Blancs aussi les bras.
Jointives les mains,
on penserait à une prière
ou bien à la protection
de l’intime.
Une longue vêture noire
où se perdent les jambes.
Immobilité statuaire.
A quoi servirait-il de marcher
lorsque la beauté est antiquaire
comme chez les anciens Grecs
qui l’ont inventée ?
Forme indépassable.
Forme en tant que Forme.
Essence parvenue
au faîte de sa parution.
Ce monde qui nous regarde
et nous confirme
comme étant présents
dans la toile de notre peau,
qu’attendons-nous
pour le connaître,
pour en entonner l’hymne,
pour réciter quelque louange
tressée d’air et d’eau lustrale ?
Nous pourrions renaître de ceci
et devenir pareils à
un sillage de comètes
dans la plaine libre
du ciel.
Oui, nous le pourrions !