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19 août 2019 1 19 /08 /août /2019 08:44
Le partage du ciel

                                    Plage de Calais

                        Photographie : Catherine Courbot

 

***

 

 

   Le partage du ciel, t’avais-je dit, cette étrange bande rose qui traverse les choses et tout, alentour, se dispose à en recevoir la visible trace. Puis le silence s’en était suivi, comme si, l’horizon demeurant vacant, il eût existé une faille par où se perdait la parole. Sachez bien ceci : certains mots ne peuvent être suivis d’autres mots. Non qu’ils recèlent en eux quelque dimension d’infini et ceci clôturerait leur être, non, c’est simplement d’existence dont il s’agit avec ses cohérences, ses exactitudes parfois, suivies de désaccords, de déraisons qui ne se pourraient expliquer. Un genre de vacuité s’installerait, de suspens, comme devant la figure de l’irrémissible Destin. Cette boule informe venant de notre passé, devenu flou à force d’amnésie, cette nébuleuse fonçant en direction de notre avenir incertain et notre présent serait cet indéfinissable intervalle en attente d’être, dispersé, toujours à construire, manière de kaléidoscope aux fragments épars, dirigés selon les lois d’énigmatiques mouvements.

   Le partage du ciel, avais-je pensé en mon for intérieur car il semblait que cette énonciation s’épuisât à même sa brève formulation. Tu avançais sur la dalle dure de la grève, prenant plaisir à tracer de la pointe de tes orteils de menus sillons qui s’étoilaient en tous sens. Je savais que j’avais instillé, en toi, dans la partie la plus vulnérable de ta psyché, au creux de ton âme, les brumes d’un ineffable doute. Mais quelle était donc cette bande couleur de corail, sinon la flaque d’un dernier soleil que, bientôt, le crépuscule ferait rutiler avant que la nuit n’efface son chemin de lumière ? Y avait-il un autre sens sous-jacent à cette réalité de la fin du jour ? Y avait-il sujet à métaphore ou bien prétexte à allégorie dont nos communes vies auraient pu tirer quelque enseignement ? Et puis, était-ce bien sérieux que de vouloir toujours trouver sens à tout, aussi bien à la chute d’une première pluie, à la raison de ce sentier qui fuyait, là-bas, en dehors même de notre perception, à ce vent léger qui, peut-être, nous disait notre passage, notre éphéméride, ce simple vestige dans la suite des jours  qu’était notre condition, la plus commune qui fût ?

   Etait-ce simplement par jeu, ou bien à l’aune d’une remarque teintée d’ironie, que tu avais formulé la seconde question : la semence bleue des nuages…, et, volontairement, tout comme moi d’ailleurs, ta remarque, bien que plus étoffée,  était demeurée ouverte, ce qui ne laissait de me maintenir dans un état de constante inquiétude. Qu’en était-il, en effet, de cette semence ? Annonçait-elle l’orage ? L’orage du ciel ? L’orage entre nous ? Depuis longtemps il grondait, faisait ses sombres amas pareils à des congères qu’une faible clarté eût métamorphosées en des menaces qui, un jour, deviendraient peut-être de simples invectives, des reproches ou bien dessineraient la ligne de partage passant entre nous, confirmant cette idée de séparation qui, au fil du temps, bourdonnait comme une triste antienne au large de nos corps ? 

    Nous avancions dans le temps avec le rythme léger, pris de lenteur, associé à toute mélancolie. Nous ne savions nullement où nous allions, si même notre marche avait un but, si elle n’était seulement un dérivatif occupant nos chairs, libérant momentanément nos esprits. Alors, plutôt que de demeurer en arrière de toi, tu me décrivais ce réel dont tu avais coutume de dire qu’il n’était que « poudre aux yeux », fallacieuse présence, apparence qui abusait nos yeux. Tu me disais ce ciel de neige, très haut, ses altitudes himalayennes, l’éblouissement dont il était le centre, qu’on ne pouvait longtemps fixer, il était trop brillant, un peu à la manière d’une vérité, prenais-tu le soin d’ajouter. Oui, tes mots étaient d’airain et de platine. Je n’en pouvais éviter l’urticante brûlure. Quelle était donc notre propre vérité dont, jamais, nous ne pouvions soutenir longtemps la parole vive, éprouver l’éclat d’une lame tout contre la nuit de notre inconscient ?

   Tu me disais la brillante plaque d’eau, ses reflets de métal poli, le miroir qu’elle était pour l’infinie multiplicité du ciel. Tu me disais la pure magie de ces cabines de bain dont on ne percevait que le dos. Quel était leur visage que nous ne connaîtrions nullement ? Y avait-il des portes ? Etaient-elles ouvertes ou fermées ? Tu me disais : fermées et nul espoir de connaître. Ouvertes et la possibilité d’y loger un rapide amour, là tout contre le paysage ceint de beauté, un régal pour des peintres réalistes, rajoutais-tu. Tu me disais encore ce sol pareil à une lave échouée au bord de l’eau, sa teinte si rassurante, la poussière de terre dont elle était l’écho. Tu me disais : la terre de mon enfance dans un pays maintenant effacé de ton souvenir. Alors je t’imaginais, toi la métissée aux yeux en amande, aux pommettes de cuivre, sur quelque plage seulement connue de toi avec le flux incessant, blanc et noir,  des paille-en-queues virevoltant au-dessus du feuillage vert-de-gris des filaos.

   Toi la fille venue du plus loin de l’océan, qu’étais-tu venue chercher ici ? La beauté d’une nature que tu ne connaissais point ? L’amour en ma propre personne et en quelques autres ? L’espace d’un renouveau où s’épanouirait ta conscience ? C’était si difficile, si périlleux de bâtir des hypothèses de sable, elles s’écroulaient tels les châteaux dressés par des enfants espiègles tout contre l’avancée de l’eau.

   Le partage du ciel, t’avais-je dit, cette étrange bande rose qui traverse les choses et tout, alentour, se dispose à en recevoir la visible trace. Nous avions progressé sur ce sol d’incertitude jusqu’à son engloutissement dans les premiers voiles nocturnes. Je crois que nous n’avions plus de questions à poser sauf à nous interroger sur les motifs de notre venue en ce bout de pays qui trouvait sa fin au bord de ce rivage, s’évanouissant dans un songe impalpable. Au-delà de ce sable, de ces cabines, de la plaque d’eau, de la bande rose, du moutonnement bleu des nuages, de l’étendue pareille à une neige immaculée, au-delà de nous, existait-il autre chose dont jamais nous n’apercevrions la silhouette ? Nous étions en attente de comprendre. La présence de la terre. La nôtre qui grésillait tel un phosphore sur le point de s’éteindre.

 

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