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10 septembre 2018 1 10 /09 /septembre /2018 10:17
Une idée simple du bonheur

                    « Plus qu’une cérémonie »

                       Œuvre : André Maynet

 

 

***

 

 

   Bien des quidams dont je croisais la route me demandaient quelle était la raison de mon bonheur. La raison ? Fallait-il être distrait pour interroger de la sorte ! Comme si le bonheur - cette faille dans la lumière du jour -, pouvait jamais se dénoter en termes de concept,  d’argumentation logico-rationnelle. Sans doute mes coreligionnaires faisaient-ils  appel à un rapide syllogisme du genre : « Tous les hommes de raison sont heureux. Or tu es un homme de raison. Donc tu es heureux ». Je connais bien des « honnêtes hommes » habiles dans l’art d’argumenter dont les jours sont semblables à ces débuts d’automne badigeonnés de brouillard, que nul soleil ne vient visiter et l’âme esseulée se demande le lieu de son être. Vois-tu, c’est toujours ainsi, l’existentiel se rassure de maints raccourcis. Peut-être est-ce là une façon de se réconforter, de penser qu’une joie est toujours possible à l’aune d’un simple raisonnement. Sans doute ces hommes sont-ils heureux au seul motif de ne point connaître la mystérieuse alchimie qui conduit au ravissement.

   Ta photographie, la voici posée devant moi dans le demi-jour de ma mansarde. Que crois-tu qu’il soit advenu de cette rencontre ? Elle aurait pu être banale, identique à la vision d’une carte postale d’un ami perdu de vue depuis longtemps. On regarde, puis on est loin, déjà, derrière le moutonnement des toits de Paris où l’heure est grise, la pluie vacante qui ne tardera à poudrer les trottoirs de sa lente mélancolie. De l’anonyme où tu demeures, perçois-tu ces deux taches de lumière qui font leur grésillement dans le secret de mon antre ? Ce sont les gardiennes de mes nuits lorsque, visité par quelque intuition, je griffonne sur le papier quantité de signes illisibles.  Sont-elles, ces taches,  le simple écho à ces deux ampoules atteintes de dénuement qui correspondent si bien à ta blanche apparition ? C’est un peu comme si tu naissais d’elle, la lumière, genre de concrétion dans la nuit d’une caverne, offrande faite aux hommes au plein de leur sommeil. Ou bien surgissement d’image dans la soie de leurs rêves.

Combien cette cagoule de cheveux cuivrés encadre avec douceur la lame de ton visage, cette merveilleuse étrave qui ne s’avance qu’à être déchiffrée. Et le rose de tes joues, et le rouge de tes lèvres, ces clignotements étranges, ces flamboiements assignés à résidence, disent-ils le raffiné de ta présence, dont tout un chacun voudrait recevoir le don pareil à une grâce infinie ?

Tes épaules, oui, tes épaules taillées dans ce marbre de Carrare avec leur chute infinitésimale, comment ne pas être fasciné, comment s’en éloigner autrement qu’au prix d’une immédiate douleur ? Et ton buste ? Ce signal d’un brusque revirement, l’ombre y court qui, bientôt, soustraira à mes yeux la plaine de ton corps. Voilé, visible, mais au prix d’une dilatation de la pupille. Celle de l’âme, la seule pouvant officier, ici, dans ce qui s’annonce comme le pur cérémoniel.

   Es-tu prête pour quelque mystérieux adoubement ? Pour célébrer le fleurissement de ton âge nubile ? Pour passer un pacte avec la Mort ? C’est si ouvert à la pluralité, une cérémonie ! De la naissance à son contraire, tout peut s’y inscrire qui laissera trace dans les strates du souvenir. Mais j’allais oublier les bourgeons de tes seins, ces deux mots susurrés dans le menu, l’imperceptible, le creux de ta bouche en porte encore la douce saveur. Et la goutte de ton nombril sur laquelle s’imprime ce merveilleux bouton de rose, qui est-elle pour vouloir ainsi se soustraire aux regards ? Veut-elle retourner au lieu de son éclosion, n’avoir plus de lien avec la vie que par la médiation de la fleur, cette patience en attente de son destin ? Et les lèvres de ton sexe - cette permission de bonheur -, que ne les voit-on, elles cernées d’ombre qui se refusent à la liturgie, qui demeurent dans le mutique, le retrait, la continence. Cependant, belle icône, persiste en ta virginité. Nul ne saurait offenser ce corps dont l’oblativité, nul n’en doute, sera pour plus tard, lorsque automne et hiver seront passés, que la fête du printemps appellera la sève, que les hommes de raison danseront, délaisseront leurs théorèmes pour le chant, renieront les braises de leur entendement afin que paraisse au grand jour l’éclairement de leur amour.

   Connais-tu, toi l’Abandonnée - c’est bien cela, le jeu de ta résignation ? -, pur plaisir à te hisser au-dessus du sol anonyme, à figurer dans cet orbe de jour, à questionner ceux dont tu emplis le champ de vision qui, toujours, garderont dans la lanterne de leur tête cette vacillation de l’heure dont ils feront le lieu d’un rite ? Pas d’autre voie que celle de cette infinie errance. Oui, permets-nous de divaguer et de ne point nous arrêter. Bientôt sera l’heure teintée de nuit. J’éteins les deux halos de lumière si semblables à ceux qui dessinent ta forme. Deux longs rails de réverbères font leurs étranges sémaphores en direction de la Seine. Ma page est blanche qui attend le signe que tu es. Puisse-t-il me tenir éveillé jusqu’aux premières lueurs de l’aube !

  

 

 

 

 

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