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16 janvier 2018 2 16 /01 /janvier /2018 09:25
Eloignée de soi

                      « Loin d’ici »

                  Œuvre : Dongni Hou

 

 

 

  

   « Loin d’ici », tel est le mystérieux sous-titre de cette belle œuvre tout en douceur, tout en délicatesse. Alors il nous faut préciser l’ICI, définir le LOIN, faute de quoi les étamines de notre pensée demeureront encloses dans la rumeur des pétales et rien ne fera jour que nous puissions saisir. Il en est souvent ainsi des choses secrètes qu’il nous faut nous décider à faire effraction en leur enceinte, les bousculer gentiment et puiser le nectar à l’aune de notre naturelle curiosité. Toujours le clair illumine le sombre, alors tentons l’éclair.

   ICI pourrait aussi bien être un lieu sauvage, une garrigue par exemple semée du soleil des genêts, traversée des odeurs marines, iodées, courues d’essaims d’abeilles et de hauts nuages, une à peine présence bien au-dessus des hommes.

   LOIN ne peut que creuser la distance, installer l’étrange, semer l’inconnu, convoquer ce qui habille de bleu la mélancolie, poudroie aux yeux des Exilés, des Apatrides, sans doute des Poètes, ces perpétuels réfugiés qui n’habitent ni le proche, ni le lointain, mais seulement la vaste contrée de l’errance. LOIN pour cette hiératique figure ne saurait être le paysage de convention, l’image d’Epinal, la vignette sur laquelle repose l’innocent visage du commun. Tout exil demande l’exception, appelle ce qui se dissimule, bien en-deçà ou au-delà du regard des hommes. Nous penchant sur LOIN, voici ce qui nous apparaît à la façon brumeuse d’un rêve :

  * Le ciel est haut, pellicule bleu-céruléenne à l’invisible sommet. Des nuages au premier plan, des masses cotonneuses si lâchement tissées qu’elles paraissent irréelles, perditions anonymes en quête d’une terre d’élection. Deux buttes de rochers coiffées d’une sombre végétation s’élancent au-dessus du miroir de l’eau. Le lac est immense aux reflets d’argent. Des sillons en troublent la surface, des moirures y apparaissent tels des lavis sur le noir d’une encre. Une île est au centre de la ruche liquide, hérissée de quelques conifères battus par l’air polaire. L’air est si vif en cette Laponie finlandaise, si clair, si libre, il traverse le corps, y pose sa morsure boréale, y incise la peau de sa lame translucide. On remonte son col, on ligature son cou d’une écharpe de laine, on enfouit ses mains dans des gants épais, on prend l’allure des esquimaux, on souffle parfois sur les tiges bleues de ses doigts. Quelques larmes s’assemblent aux angles des yeux, on y devine, déjà, la naissance de minuscules glaçons, on enduit ses lèvres d’un baume apaisant, on devient stalagmite de givre face à l’ouverture sans retenue du paysage.

  * Et, soudain, voici une cabane de rondins, un genre d’isba à la solide ossature. Sa façade est baignée d’une douce lumière, celle d’une aurore sans doute, tant la couleur du bois est rehaussée d’un miel, d’un nectar. Cette image est si paisible qu’on pourrait demeurer sur le seuil, là, à l’abri du débordement de planches, se contenter de humer l’odeur de résine, d’éprouver la sérénité montant de toute cette assurance d’un logis protecteur. Au pied de l’isba, se frayant un passage au milieu de gros galets, une eau joyeuse, bondissante, on croirait des lutins échappés de la forêt proche, des génies sylvestres s’ingéniant à se dissimuler afin de se rendre plus présents à même leur absence. Le ciel est semé de gris et de blanc. Rien ne bouge que l’espoir, bientôt, quand l’air fraîchira, d’un refuge auprès de l’âtre, c’est si réconfortant un feu de bois à l’heure crépusculaire qui, ici, est si précoce et la surprise est toujours grande du rapide déclin de l’heure.

   * Ce qu’on aperçoit encore, ici, dans le LOIN même, le loin du temps et de l’espace, c’est cette silhouette si énigmatique, si troublante de cette Petite Fille revenue au lieu même de sa naissance. Bien du temps a rétrocédé, bien de l’espace a été parcouru depuis notre rencontre avec l’image. Notre imaginaire a comblé la faille ouverte que les heures avaient installées dans ce jeune destin, cette coupure, cet abîme que sont toujours la perte de ses racines, la distance par rapport aux lieux fondateurs, le deuil accompli en raison de la disparition d’une langue dont, encore, le babil vous hante pareil à une entêtante ritournelle. Peut-être est-ce ceci, cet abandon d’une mélodie, d’un rythme, d’une intonation qui constitue le déclin au plus haut point en son irrémédiable fuite ? Irremplaçable essence de la composante humaine, et voici  qu’on se détournerait d’elle, qu’on renoncerait  à peupler de sa voix la souple farandole enfantine, cette complainte à jamais perdue, ce fil de trame qui s’échappe du tissu infini des jours. Oh, bien sûr, dans le long égrènement des heures, parfois, quelques sons se laissent entendre, quelques couplets se disent à la façon d’une comptine. Le timbre d’une voix familière, de rapides interjections, des hymnes à la joie, des voix voilées de chagrin, des inflexions maternelles, des lois paternelles, des invitations d’enfants au partage des jeux parmi le peuple blanc des bouleaux.

 * Que pouvons-nous connaître d’elle, l’Attentive, si ce n’est la complainte muette qu’elle adresse à son miroir ? Une assise est au sol sur laquelle elle repose comme le font les méditatifs, les sages, les contemplatifs. Mais que peut-elle donc contempler si ce n’est la forme elliptique de son âme, cette façon de galet si poli qu’il glisse entre les doigts, n’y laissant qu’une vague empreinte, la trace d’une eau qui fut son accompagnatrice ? Sinon l’esquive de sa mémoire en ses sauts de carpe, ses touches à fleurets mouchetés, ses méandres qui plongent sous le sable ancien, il n’en demeure, parfois, que quelque résurgence, une impression d’avoir vécu, éprouvé, senti mais l’esquisse est si fragile, papier de soie dans le froissement sinueux du vent.

  * Et cette robe, ample, si sérieuse pour une enfant, que veut-elle signifier qui aurait trait à l’inéluctable deuil lorsque l’horizon est vide de présence, que le passé s’altère et se défait, que l’avenir est ce point insaisissable, là-bas, dans l’indéterminé, l’instable, l’hypothétique aventure d’une solitude ? La nappe grise des cheveux participe à ce drame de  la remémoration qui projette ses dagues au plein de la chair. Fluence si semblable à de funestes prémonitions, comme si le passé insouvenu, infécondé, étrillé, ne laissait plus  percevoir qu’une toile lacérée, usée, poncée à blanc sur laquelle ne pourrait plus s’inscrire le chiffre d’un possible bonheur.

  * Et ce visage diaphane que recueille le tain de la glace, quel est-il ? Celui de la présence, de l’ici et maintenant douloureux de ne plus accéder à l’actuel d’autrefois ? Est-il un reflet venu de ce lointain pays de vent et de froid, le rouge de la bise s’y dépose, la mimique d’une poupée d’enfance, l’empreinte des airelles rouges qui illuminaient les forêts  de trembles et de hêtres ? Et ce front poudré de blanc, pareil à un marbre, est-il le surgissement, à nouveau, du long tapis de neige hivernal, la couleur cendrée du poitrail du renne, la teinte assourdie de l’isba lors des aubes d’hiver ?

  * L’acte de souvenance est un effort si mystérieux que peuvent s’y illustrer toutes les facettes, tous les lieux, tous les temps, toutes les joies, toutes les tristesses. Attentive a fermé les yeux. Rêverie éveillée ? « Songe d’une nuit d’été » ? Projection au-devant de soi de ce qui fut et mérite d’être à nouveau tenté ? Tout est enseveli dans ces camaïeux de cendre et de neige éteinte, dans ces à peine vibrations du jour, dans ces touches savamment pastellisées, estompées. Pas plus que la chute d’une feuille, le passage du vent, la retenue du silence, le glissement de l’eau dans la gorge étroite du puits.

   Peut-être est-ce là la couleur du regret, de la brume nostalgique, de la langueur lorsqu’elle fait  ses atermoiements, ses bruits de congère, ses reptations sur les sols gorgés d’eau des tourbières ? Peut-être rien que ceci. Attentive le sait-elle elle-même ? En est-elle affectée en son fond ? Dérive-t-elle en de sombres pensées ? Fabrique-t-elle de nouveaux songes ? Tisse-t-elle les fils arachnéens de la présence ou bien de l’absence ? S’abîme-t-elle dans la construction d’un nouveau langage ? Il y a tellement de questions à poser. Céans, là-bas, autrefois, plus tard, bientôt, encore, ICI, LOIN, si loin que plus rien ne saurait avoir lieu que l’interrogation elle-même. Oui, l’interrogation !

 

 

  

 

 

 

 

 

 

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