Photographie : Anonyme
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Tu me disais la perte de l’être dans l’épaisseur du temps
Tu me disais la fragilité de l’être dans la venue des jours
*
Tu me disais cet événement sans nom
Cette longue dérive que rien ne pouvait abolir
Tu me disais cette infinie patience qui sculptait
Ta forme pareille à ces Explorateurs du Vide
A ces illusoires Figures
Homme qui Marche de Giacometti
Tu en avais la douce inclinaison
L’inquiétante étrangeté
L’allure martiale en même temps
Qu’une disposition à la Chute
*
Pourquoi te fallait-il être
En avant de Toi
Etrange figure de proue
Penchée sur ton Destin
Toujours tu regardais vers l’arrière
Comme si ton passé te suivait
Ton ombre
Voleur surgissant de la nuit
Pour mieux te captiver
Te ramener en une terre originelle
Étais-tu si privée de présent
Que seuls les jours anciens
Tressaient à ton front
Les palmes de la gaieté
Les mérites de vivre
Que seules les heures natives
Dépliaient les louanges
D’un possible avenir
*
Tu me disais la perte de l’être dans l’épaisseur du temps
Tu me disais la fragilité de l’être dans la venue des jours
Nous avancions en cet étrange binôme
Réalité duelle qui semblait
Sans avenir
Qu’à se perdre dans son propre mystère
Aussi bien Deux figures en Une
Une illisible fusion
Dans la fugue du Monde
Sans doute n’étions-nous
Que ce Voyageur contemplant
Une mer de nuages
Cette silhouette noire
Quelque part du côté de Rügen
Perdue dans un songe baltique
Cette efflorescence de brume
Cette germination d’indécision
Cette question sans réponse
A-t-on jamais pu interroger l’Invisible
Dresser la carte du romantisme
Peindre la volute d’un état d’âme
*
Le ciel était gris
Qui passait au-dessus de nos têtes
L’horizon une courbe éloignée
Un signe perdu dans l’illimité
Le rivage une étendue confuse
Une aile de corbeau à la noire glaçure
La mer un flux gris
Ourlé d’une tremblante écume
Une parole se perdant
Dans le pli d’un non-lieu
Le ciel était gris qui appuyait
Contraignait à marcher
Au large de soi
Bien au-delà
D’une commune prudence
Peut-être étions-nous
Des êtres en perdition
De simples décisions
D’un temps insondable
Des errances définitives
Sans autre but
Que de se connaître
Mais le livre de notre odyssée
Était clos immensément clos
Et nous demeurions là
Deux points ambigus
À la lisière du jour
Déportés d’eux
Abolis
Plus rien ne se décidait
À paraître
Rien
Nous demeurions enclos
Inaccessibles
Nous n’étions même plus
Des êtres
Mais des silences plaqués sur les choses
Des dérives marines privées d’amers
Oui Privées
Il le fallait
Étrange Loi
Mutilante Vérité