Tout au bord de l’eau grise.
VOUS étiez dans cette attitude
Dont je n’aurais pu qualifier
La nature
Sorte de Cariatide
Tenant le Ciel
Au-dessus de sa tête
Prenant racine dans le monde
Des choses terrestres
Flottant infiniment
Dans un azur si pur
Qu’on n’aurait pu le toucher
Qu’à l’aune de l’esprit
Qu’à la force souple de l’âme
Tout au bord de l’eau grise.
Tous les jours
Que le temps inventait
VOUS étiez assise
Sur cette souche étroite
Qu’ont eût supputée
Placée là
Pour VOUS
Et pour nulle autre présence
Toutes les heures
Que le temps créait
Je longeais ce lac
Cette étendue d’eau grise
Cette impalpable ligne de schiste
Dans laquelle se reflétaient
L’eau blanche des nuages
Le céladon adouci du Ciel
La ligne sombre des collines
Une langue d’onde verte
D’ovales ilots
Une avancée de Terre
Qui ressemblait
A votre teint d’olive
A sa profondeur
A son mystère
Tout au bord de l’eau grise.
Quel que fût le temps
Plût-il
L’atmosphère fût-elle
De feu
Ou bien le vent
De glace
Vous demeuriez
Tant et si bien
Qu’il eût été illusoire
De VOUS comprendre
VOUS
L’Atlante
Qui séjourniez parmi les hommes
Dans cette forme d’absence
Dont ne pouvait témoigner
Qu’une Déesse
***
Mais quel fronton
De quel temple
Souteniez-vous
VOUS dont l’étrange destinée
VOUS portait
A la limite
D’une invisibilité
Alors qu’alentour
Hormis votre hiératique esquisse
Rien ne paraissait que de normal
Rien n’avait lieu
Que dans l’inconsistance
De l’heure
Un ris de vent
Que la moindre saute d’humeur
Eût vite effacée
Tant les choses de la Terre
Paraissaient
Superficielles
***
VOUS ayant aperçue
Et le regard demeurait
Aimanté
Magnétisé
Pareil à une étincelle
Forant la nuit
De sa rouge question
Dardant sa pointe
Avant que l’Ombre
Ne l’éteigne
Dans son rêve de brume
Dans sa dérive d’encre
Tout au bord de l’eau grise.
Souvent il m’arrivait
Depuis l’anonymat
De l’autre rive
Yeux fixés sur des jumelles
De VOUS
Isoler
De tout ce qui n’était pas
VOUS
Afin de garder
Intacte
Votre Essence
De ne la point diluer
Dans les mailles
Etroites
De l’incertitude.
Tout au bord de l’eau grise.
Ce jour
Lumineux
Diaphane
Est le jour de
L’Automne
Cette parenthèse du Temps
Ce repos
Après l’exultation
Cette halte avant
Que l’hiver
Ne noie tout
Dans ce frimas
Qui semble éternel
Aux impatients
Qui piaffent d’ennui
Aux amoureux
Qui ne souhaitent
Que de se dénuder
Aux chemineaux
Qui courent les sentiers
Sous la morsure de la bise
***
Ce jour
Est d’or et de paille
Ce jour est tissé de pollen
Et nul ne songerait à être triste
A se réfugier
Dans l’aridité d’une mystique
L’abrupt d’une méditation
Seule est admise
La contemplation
Qui fait du pluriel
L’Unique
Qui métamorphose
La mélancolie
En pure Joie.
Tout au bord de l’eau grise.
Le trajet a été accompli
Le cercle se referme
Qui me ramène
Jusqu’à
VOUS
Là
Dans cet écrin de silence
Qui ne saurait avoir
D’autre lieu
Que celui que l’on assigne
Aux choses
Rares
Aux incunables
Par exemple
Dans le luxe d’une
Bibliothèque
Mais parfois
Surgit l’énigme
D’un autodafé
Et des manuscrits
Ne demeurent plus
Que des cendres
Et quelques signes épars
Qui regagnent
L’effacement
D’avant leur parution
Tout au bord de l’eau grise.
La souche rongée par
Le Temps
Est levée sur la scène
Du jour
Une plante au sol
Un étoilement vert
Quelques fragments de bois
Ossuaires
Comme si la Mort
Les avait atteints
Avant qu’ils ne rejoignent
L’eau donatrice de vie
L’eau lustrale par laquelle
Recevoir un nom
Et perdurer dans le cycle
Des saisons
***
VOUS il m’en faut assumer
La biffure
En
Croix
X
Cette perte qui
Jamais n’aura réparation
J’aurais voulu
VOUS connaître et voilà
Que VOUS m’échappez
A l’instant où j’allais
VOUS Saisir
Au moins par la pensée
Au moins par le sentiment
D’une jouissance immédiate
Au pied de la souche
(Est-elle la souche
Une métaphore
De ce qui a été
Qui jamais
Ne trouvera
D’espace où renaitre)
Au pied de la souche
Une page arrachée d’un livre
Illisibles mots
Sauf
Cette phrase qui figurait
Sans doute en épigraphe
Du texte
« La mélancolie
Est une maladie
Qui consiste
A voir les choses
Comme elles sont »
Etiez-vous identique
A l’état d’âme
Nervalien
Etiez-vous
Celle qui vivait
Le Réel
Jusqu’en ses derniers
Retranchements
Etiez-vous
Cette Lucidité
Placée à la proue
Des Choses
Ceci
Jamais ne le saurai
Mais vit-on
D’autres nourritures
Que celles
Terrestres
De l’Illusion
Vit-on