Cette fêlure, disais-tu, cette fêlure.
L’été touchait à sa fin
et l’air, parfois,
fraîchissait
à l’arrivée
du crépuscule.
Souvent nous allions
sur le port
écouter le vent siffler
dans les haubans
des voiliers.
Déjà il y avait moins de monde
et les terrasses des cafés
se teintaient
d’une douce mélancolie,
couleur de feuilles mortes.
Nous prenions,
cela dépendait de notre humeur,
un café corsé,
un thé léger,
un vin à la robe jaune de paille
avec des reflets verts.
Ils ressemblent
aux aiguilles de pin,
me disais-tu,
et tes yeux viraient au gris,
pareils aux rochers d’ici,
des meutes claires
traversées de rayures,
de lignes de partage,
d’éclats le plus souvent.
Cette fêlure, disais-tu, cette fêlure.
Souvent, pareille à une antienne,
cette énigmatique formule,
ce signe abstrait,
ce hiéroglyphe caché
dans l’ombre
d’une pierre
comme pour dire
le secret
à ne jamais transgresser.
Tu semblais rêveuse,
loin de toi,
perdue dans un songe
dont, sans doute,
tu ne reviendrais pas.
Que valent ces rencontres
d’un été,
ces amours folles,
ces chevauchées sans fin
pliées sur l’encolure
de l’imaginaire ?
Que valent ?
Le vin pétille,
semblable
à la vivacité
de la garrigue,
à sa naturelle sauvagerie,
à son mystère,
elle qui ne se laisse
qu’effleurer,
jamais comprendre.
Comment être
cette pierre,
cette touffe de thym
hirsute,
cette immortelle
que le vent traverse
de son galop trop rapide ?
Une fuite dans le crépuscule
qui vire au bistre,
au sanguin avec des nuances
de bleu indéfinissable,
cette encre qui se dilue
dans l’atmosphère
avec l’endeuillement
des soirées d’hiver
quand l’affliction est grande
de ne pas être en harmonie
avec le pouls des choses,
avec le rythme
immémorial
du temps.
Cette fêlure, disais-tu, cette fêlure.
Ton verre est vide,
Le cerne de tes yeux
s’auréole
d’un dernier espoir.
S’il y avait une suite
à toute fiction,
si l’exister
n’était seulement
cette manière
de pantomime
qui tire sa révérence
avec toujours
le même sourire
un peu ingrat,
avec le même rictus
en forme d’aporie.
La scène
s’est à peine ouverte
Que les rideaux de pourpre
se referment
sur cette Divine Comédie,
triple cercle
avec le paradis tout au fond,
inaccessible,
le purgatoire au milieu,
visible par intermittences,
l’enfer sur le pourtour
avec ses flammes
rubescentes
et les braises sur lesquelles
on marche,
pareil à un Esprit
qui aurait perdu ses pouvoirs
et la brûlure serait vive
qui entaillerait
jusqu’à l’âme.
Tu fumes nerveusement,
deux traits font
leur sillage de brume
jusqu’à la barrière
blond-cendrée
de tes cheveux.
Je n’avais jamais remarqué
aussi bien que ce soir
la perfection
de ton arc de Cupidon,
tes joues criblées de son,
la forêt de tes yeux
parcourue
de layons plus clairs.
Etaient-ce des pistes
à suivre ?
Assurément nous n’avons
cheminé de conserve
que par erreur,
Peut-être en raison
d’une naïve obstination,
laquelle n’est parvenue
qu’à mieux nous désunir
alors que nous espérions
un cheminement
commun,
sinon une osmose.
Nous sommes
de grands enfants
aux mains vides,
aux cœurs
qui débordent
d’enthousiasme
mais nous ne savons canaliser
toute cette énergie disponible,
en faire l’espace
d’une unique joie,
l’occasion
d’une rencontre.
Cette fêlure, disais-tu, cette fêlure.
A t’observer
sans qu’il y paraisse,
je comprends mieux ta nature
de Fille du Nord.
ce feu sous lequel la glace
est encore présente
pareille à ces majestés
qui flottent
dans les fjords étroits
et ténébreux de Norvège,
ton pays du septentrion que,
bientôt, tu rejoindras
avec la souple rumeur
qui convient
aux âmes torturées.
Nous nous sommes
si bien rejoints
autour de cette fêlure.
Commune. Il va de soi.
Nous sommes
des individus scindés,
que traverse
l’éclair de l’être
sans que nous y prenions garde.
Une commune inattention,
de simples visions hagardes
que visite le fouet
d’une sidération.
Cette fêlure n’est que le reflet
de ces pierres
qu’une longue géologie
a meurtries,
de ces éclisses de palmier
qu’on trouve ici,
que le soleil a fendues
en leur centre
dont les bords ne seront
plus jamais jointifs.
Une béance
par-delà le temps,
une faille de l’espace,
sans doute la métaphore
de ceux qui n’ont,
pour éternité,
que la parenthèse
d’une saison.
Ta cigarette continue
à se consumer
sur le bord du cendrier.
Nous sommes
loin déjà
du café où nous fêtions,
il y a peu,
le hasard
d’une route commune.
Nous sommes
loin de nous
comme des peuples séparés
par une brusque diaspora,
une entaille au scalpel
et l’on ne sait plus
qui l’on est.
Les feux de ta voiture
ne sont plus
que deux tisons
qui font
leur étrange rougeoiement
dans l’air qui a viré au violet.
Bientôt seront les frimas.
Il faut remonter son col
et mettre une bûche
dans la cheminée.
ou bien deux,
peut-être.
Ou bien
DEUX.