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2 octobre 2015 5 02 /10 /octobre /2015 07:33
Ici où le monde finit.

" Le verrotier solitaire ".

Photographie : Alain Beauvois.

« Les Hemmes d' Oye (près de Calais)
tôt le matin, l'hiver dernier, par très grand froid

Pour être allé moi même, il y a un certain temps, " à vers ", et à l'époque avec une simple pelle, quand mon dos me le permettait encore, je sais le courage qu'il faut pour partir, en plein hiver, au lever du jour, chercher des vers marins...J'ai d'ailleurs mis, comme un hommage, des photos de verrotiers dans mes dernières expositions...ce sont les seules personnes, avec des chasseurs, des mytiliculteurs, que l'on rencontre, en hiver, dans ces endroits désolés que je fréquente habituellement...

Il faut aussi beaucoup d'énergie, parfois, pour aller dans la solitude et le froid creuser au fond de soi même...On y trouve souvent des trésors... »

A.B.

Les derniers brisants de la nuit se sont à peine évanouis que le jour paraît sur la pointe des pieds, comme étonné de son propre surgissement. Il y a tant de lenteur partout présente. Dans les chambres où les rideaux sont tirés, dans les ports où flottent les étraves aiguës des bateaux, dans les rues que longent, lumière de zinc et de plomb, les lignes de ciment gris des trottoirs. C’est ainsi, chaque matin est un rituel éternellement recommencé, l’abandon d’une longue hibernation et l’on est comme la gerboise sur la steppe mongole que le printemps surprend au détour d’une touffe d’herbe, les yeux ébahis où roule le diamant de la lumière. Il faut accommoder longtemps avant que la conscience ne se libère des archétypes nocturnes et s’ouvre à la multiple beauté du monde. Se réveiller est toujours une douleur, un abandon et il faut consentir à se libérer de sa cécité, à accueillir la clarté à la manière d’un coup de fouet, d’une brusque illumination. Alors on s’ébroue, on ploie son échine de belette, on avance avec des glissements et des ondulations, on s’immisce dans le temps et l’espace avec d’infinies précautions. Alors dans la parure d’hiver, jour d’ardoise et eaux d’argent, on arrive ici où le monde finit, seul lieu d’une possible éternité. La dalle de la plage plonge sous la pliure lisse des vagues. La mer est un immense miroir qu’habite le ciel avec ses nuages au ventre gris-bleu, cette couleur si indéfinissable qu’on pourrait la confondre avec la gorge du pigeon, le khôl sur la paupière de l’amante, l’écran du rêve alors que s’allument les images de la beauté, de la liberté. C’est une telle douceur que d’être dans cette aire ambiguë, dans ce lieu de passage d’un univers à un autre. Oui, car l’essence du jour n’est pas celle de la nuit. Nuit principe de plaisir, nuit du poème recueilli dans la bogue de l’inaccompli, du bientôt disponible, de la parution de l’art qui a besoin de ce repos, de cette contemplation. Jour-scalpel qui entaille la nuit à l’aune du principe de réalité et reporte à la prochaine encre, à l’ombre enveloppante nocturne l’espoir des hommes de naître à eux-mêmes. Seul le rêve s’y emploie qui ouvre les portes immenses de l’imaginaire, de la rêverie, de l’utopie avec ses hautes tours, ses îles que personne n’aborde, ses anses où flotte l’éclat du galet dans sa perfection, son harmonie, sa plénitude. Là est le bonheur, dans l’accueil du simple, dans l’ouverture d’une esthétique heureuse.

Sauf le verrotier à l’horizon, là-bas, loin au-delà des yeux, il n’y a personne. Grand est le silence qui fait ses clapotis assourdis. Sous la vase, dans les tunnels de sable, dans les galeries ombreuses sont les vers qui nourriront le poisson qui nourrira les hommes. Cycle de la vie toujours recommencée. Comme une allégorie du temps qui passe, de la vague qui déferle, de la dune qui fait rouler ses grains de mica sous la rumeur du vent. Le ciel fait sa frise plus claire au ras de la terre, une ligne noire venant dire la limite des éléments, la nécessaire partition des choses que l’existence crée afin que nous ayons nos orients, nos amers à partir desquels planter nos jalons et avancer sur la courbe du destin. Et ces pieux, tels une armée de légionnaires, ces stalagmites noirs, ces concrétions venues d’un autre âge, qu’ont-elles à nous dire, sinon la beauté des choses, mais aussi le tragique qui en tisse l’aérienne présence ? C’est ainsi, la vie est indissociable de la mort et le paysage ici présent, dans son implacable présence nous dispose à recevoir ce message qui est la parole sublime de l’être, du devenir alors que, déjà, l’instant a passé qu’un autre remplace. Tout en bas est un oiseau que nous n’avions guère aperçu. Symbole, s’il en est, du vol interrompu, de la halte sur la voie migratoire, du questionnement qui, toujours, surgit du repos, du suspens, du mouvement figé. Homme-oiseau-pieux comme une triade venant nous dire la nécessité de regarder les choses dans la perspective du doute, de la cessation de l’affairement qui nous éloigne de notre propre silhouette, qui nous cloue aux contingences et nous dissout dans les nervures complexes de l’exister. Bientôt le jour sera complètement levé. Bientôt sera la course des hommes sur l’échiquier des nécessités. Alors nous regagnerons le logis, la tête basse, la tête nimbée d’une étrange lumière, cette manière de réverbération qui habite la toile du « Philosophe en méditation » de Rembrandt. Toujours nous serons des êtres du clair-obscur. A ce prix est notre vérité. Là où le monde finit est notre véritable commencement. Commençons à être !

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Published by Blanc Seing - dans PHOTOSYNTHESES

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