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9 avril 2015 4 09 /04 /avril /2015 07:51
La Ville m’en veut.

La Ville m’en veut. Cela je le sais de toute éternité. « Attrapez-le et tuez-le ! ». Les imprécations sortent de toutes parts. Des bouches des caniveaux, des lézardes entre les pavés, des fentes des trottoirs. Et ce lampadaire, là, avec sa tête de guingois et son air bonasse, mais quel traître, mais quel triste énergumène ! Attendez que je passe et il me cinglera le visage avec ses bras de tôle. Vindicatif comme un pou. Le rhinolophe, à côté, c’est un humaniste. Et Maldoror un employé du Mont-de-piété. Et ce mur, à droite, avec sa rangée de pierres bien sages. Que l’idée me prenne un instant de le longer : jets de lapillis et bombes volcaniques et ma tête sanguinolente sur le sol avec des graviers plein la dure-mère. Et le pignon si débonnaire avec sa blancheur de sanctuaire, un fieffé sournois, je vous l’assure. M’attend au coin du bois pour me rouer de coups. Ah, oui, je les entends tous ceux de la Ville, tous ceux qui s’acharnent à me poursuivre de leur haine blanche. Mais entendez-les donc hurler à la mort : « Qu’on le saisisse et le fasse brûler en Place de Grève ! »

Pourtant je n’ai rien fait d’autre qu’exister. « C’est trop », crient les thuriféraires. Ils remuent l’encensoir et les nuées gagnent le ciel en cortèges funèbres. « C’est trop », crient les naviculaires et ils secouent leur cassolette rougeoyante, leurs yeux emplis de braise. « C’est trop », crient les ventripotents et leurs langues vipérines sifflent comme mille essaims. « C’est trop », crient les bourgeois et les banquiers, les filles de joie et les numismates, les apothicaires et les notaires, les usuriers et les rentiers. Et leur bonté suinte le long de leur anatomie comme une armée de morpions.

« Oui, me dis-je, parfois, ils ont bien raison de vouloir me faire basculer cul par-dessus tête dans la fosse commune de l’oubli. Je ne suis rien qu’un personnage un peu falot, avec sa tête de clown, ses habits poncés jusqu’à l’âme, ses trous en guise de viatique, ses lieux de nulle part, ses bancs en guise de reposoir. »

La Ville m’en veut. Cela je le sais de toute éternité. « Attrapez-le et tuez-le ! »

Oui, je les sens tout proches avec leur haleine parfumée au Champagne, leurs habits glacés et leurs toques d’hermine. Oui, ils me tueront. Sauf ma liberté. Ils me tueront et je reviendrai hanter leurs rêves. Oui, leurs rêves petit-bourgeois et ce sera bien pire que la mort. Ils ne se possèderont plus eux-mêmes. Possession : la seule litanie qui les fasse tenir debout. Oui, la Ville m’en veut, mais c’est moi qui aurai le dernier mot : Liberté. Puisque la mort est cela et je ne regretterai rien. Rien !

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