« Echappée d’âme Numéro 1 ».
Œuvre : Sandrine Blaisot.
Tout en haut de la citadelle de chair est la meute du visage, son expression hors du monde, son drame et son incomplétude. Mortelle épiphanie qui dit la naissance de la mort. Mort qui dit la vie en sa clôture. Le jeu est joué. Echec et mat pour bientôt. Demeurent encore quelques traits que le jour efface. Estompe, dilution, esquisse reconduite à son inachèvement. Glaise lourde des heures comme pour dire le péché, la violence d’être, la douleur d’exister. Mais où la seconde salvatrice, la brusque illumination et la joie qui brasillent dans la ténèbre ? Seulement l’éclair, la grâce de toucher la pliure du jour, la promesse de l’aube. Une dernière fois.
Pourquoi cette absence ? Pourquoi ce lourd silence ? Pourquoi la solitude ? Oreilles clouées et la cantilène du monde est si peu perceptible. Paroles laineuses que déglutissent les bourgeons insanes des bouches étroites. La glotte est nouée et les mots sont des larves que le temps, jamais, ne métamorphosera. Menton pareil à une enclume avec sa lourdeur hémiplégique. Et la bouche, et les sublimes lèvres qui n’articulent plus l’amour, mâchent seulement l’acide étroit du ressentiment. Et ces deux plis des joues où glissent les larmes attentives à soi, hors des autres qui ne sont plus qu’une mince fuite dans le sable dru de l’angoisse.
Que vienne la Dame-à-la-faux. ! Qu’elle moissonne donc cette tête dont le nez est un éperon usé ; un œil fermé sur la beauté, l’autre ouvert, tel un vulgaire Cyclope atteint de mydriase qui ne regarderait que l’inconsistance des choses. Et pourquoi cette grêle de coups sur la falaise bombée du front, pourquoi la dure-mère au plein jour et, bientôt, les grises circonvolutions flottant en plein ciel ? Oui, les mots, les germes de l’être sont encore là, dans leur forme atténuée, usée par tant de bavardages mondains, tellement de délibérations étiques.
Que ne les ais-je conservées, ces pépites du langage, à écrire des poèmes, à haranguer les foules des agoras pour leur dire l’urgence de connaître, à emplir le papier de milliers et de milliers de signes minuscules, étroits sémaphores voulant vivre du sein d’une vérité ? Oui, voici que le langage se perd, que les phrases disparaissent dans les mailles du brou de noix, que bientôt, partout, règnera l’aphasie et coulera la stupeur pareille à des gemmes de résine. Oui, je la sens s’élever doucement au-dessus de ma tête, cette âme dont je n’ai pu saisir qu’une brusque fulguration à défaut de la retenir, de la porter au creux de mes mains pareille à la plus subtile des offrandes. Me voici reconduit à la lourdeur de la pierre, à l’hébétude de l’animal, à la croissance du végétal promis à la corruption.
Et voilà que se dresse, devant la propre incompréhension que je suis devenu, simple stalactite parmi l’ombre des grottes, cela qui doit me clouer sur la planche d’entomologiste de l’être : « LES PROTESTATAIRES FIXENT UN ULTIMATUM ». Mais qui sont-ils ces protestataires ? Mais qui donc leur a enjoint de fixer un ultimatum ? Est-ce le Néant lui-même ? Le Néant ? Je vous le demande. Venez à mon secours tant qu’il en est encore temps. Demeurerait-il juste un brin d’âme, une éclisse de nez, le vitreux d’un œil, le décharné d’une joue, la fissure étroite des lèvres, la galoche boiteuse du menton, les cordes rugueuses du cou que je voudrais ENCORE UNE FOIS FAIRE L’AMOUR. OUI, L’AMOUR ! Sans cela nous ne sommes rien. Rien ! La mort à côté est un cadeau. Oui, un cadeau !