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16 mars 2015 1 16 /03 /mars /2015 09:23
Dessous la verrière blanche.

Toute mon adolescence a été bercée par la belle constellation automobile de l’époque. Aussi, quelle émotion de retrouver, parmi l’iconographie de la Toile, cette belle image d’une Delahaye, - la « gloire de mon père » -, couleur prune, pneus flancs blancs, jantes à rayons, généreuse calandre chromée, immense capot sous lequel ronronnait, avec un doux bruit, le moteur 6 cylindres. Quelques noms évocateurs encore comme cette barquette Gordini à la belle couleur bleue. Puis des Rosengart, des Traction avant, des Frégate, Beaulieu, Chambord et autres petites pépites de l’industrie. Et la liste serait longue des prodiges qui habitaient les têtes des enragés de compétition et des longues randonnées estivales, cheveux au vent, capote rabattue sur la malle arrière.

Mon père avait un garage à Neuville. J’aimais la grande verrière blanche qui tenait lieu de toit, le sol de ciment gris, les bandes jaunes pour délimiter la place occupée par chacune des Belles. J’aimais l’odeur de peinture et de mastic, odeur légèrement entêtante mais tellement significative d’une allégeance à la religion mécanique. Car c’était bien de cela dont il s’agissait, d’une manière de religion, d’adoration des icônes, laquelle se déclinait selon de multiples sanctuaires où faire ses dévotions : Circuit de Pau, course des Sables d’Olonne et, bien évidemment, la grand messe des 24 heures du Mans.

Et, aussi, comme de précieux sémaphores du temps passé, quelques noms d’une extraordinaire faune. Les officiants de cette étonnante liturgie étaient à l’automobile ce que les maquignons sont aux garonnaises à la robe blanche. Les automobiles, ils savaient en flatter la croupe de la main et ne dédaignaient jamais de jeter un œil sous les atours des Belles afin d’en mesurer les charmes disponibles. Je me souviens avec, dans la mémoire, comme un joyeux carrousel où tournent inlassablement les petites et sympathiques marionnettes du temps passé : Laboli, ce gentleman des belles carrosseries, toujours « tiré à quatre épingles », parfumé à souhait ; Bonnal, ce géant débonnaire à l’appétit pantagruélique - ma main disparaissait dans sa pogne vigoureuse -, auquel un demi brochet ne faisait pas peur ; Marcorin, cette célébrité du cyclisme que mon père ravit au vélo pour le déposer sur les rives du temple automobile ; Rigali, ce roublard au verbe rocailleux, aux odeurs rupestres qui fourguait aux naïfs du causse la 2 CV invendable pour cause d’âge ; Delmasin le tôlier-peintre-mécanicien, l’homme toutes mains providentiel qui faisait une berline d’un tas de ferraille ; Larmichin, grand type sec toujours coiffé d’un béret basque, fin pilote de courses ; Fourniérat, dandy ne jurant que par les Porsche et autres Ferrari qu’il vendait aux rupins de la ville ; Burcal enfin, ce magicien de la mécanique qui faisait d’une Simca 1000 un monstre capable de rivaliser avec les plus puissantes, les plus sophistiquées des sportives en renom.

Dessous la verrière blanche, c’est tout ceci et, surtout, une poignante nostalgie. Mais où sont donc passées ces rencontres franches et amicales, où sont passés ces étranges personnages de la commedia dell’arte qui donnaient sens et piquant à la vie ? Où donc ?

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