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25 février 2015 3 25 /02 /février /2015 11:39
Nous nous connaissions à peine.

Nous nous connaissions à peine et déjà vous me disiez le lien, l’attachement des êtres. Entre eux, mais aussi à ce qui les dépassait. Comme le ciel dépasse l’oiseau qui y trace son invisible vol.

Le lien du sol, d’abord. Nous étions tous les enfants d’un paysage, d’une rêverie, d’une rivière qui faisait son chant sous le frémissement des aulnes. Et je pensais à Julien Gracq, à ses « Eaux étroites », à l’Evre, cette merveilleuse comptine veillant au destin d’un enfant qui deviendrait écrivain.

Le lien du sang, ensuite. Ce rhizome qui court avec son bouquet pourpre parmi les légendes des généalogies. Ce sublime faisceau pareil au trajet des nerfs, à leur étoilement blanc que la peau recouvre de sa taie de silence. Et je pensais à Victor Hugo, à Léopoldine, à la nature blanchissant à l’aube, à la tristesse parfois qui fait du poète un marcheur égaré.

Le lien de la chair, pour finir, cet étrange nœud qui nous contraint et nous réduit à néant pour peu qu’il desserre son étreinte. Alors nous battons la campagne les yeux au frimas, l’âme en perdition. Car plus rien ne parle que le froid et la bise hivernale. Et je pensais à mes lectures adolescentes, à « Lady Chatterley », à ses baisers brûlants comme le feu. Mais je ne suis qu’un pauvre garde-chasse aux doigts gourds, à l’esprit entaillé par le doute et vous fuyez à l’horizon de ma pensée à mesure que, de vous, je trace l’esquisse au fusain. Pourquoi faut-il donc vieillir et laisser son manteau au vestiaire ?

Nous nous connaissions à peine et déjà vous me disiez le lien, l’attachement des êtres.

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25 février 2015 3 25 /02 /février /2015 11:11
L’homme et l’habiter.

Que voyons-nous, ici, sinon une image d’Epinal, une simple anecdote à partir de laquelle pourrait naître une fable ou bien une fiction, peut-être même la matière d’un drame ? L’esprit humain est si fécond, si prompt à s’enflammer. Le moindre fait surgissant à l’horizon : poudre rencontrant le détonateur. Toujours, au bout, ce qui ne paraît qu’à la mesure de l’accident, de la faille, de la trappe ouverte. « De Charybde en Scylla », telle pourrait être la devise de bien des hommes qui se soucient davantage du premier aspect formel venu plutôt que d’une méditation de ce qui y est présent en filigrane.

A l’évidence, c’est d’une cabane de bois dot il s’agit, sans doute anciennement goudronnée, qui reçoit sur l’une de ses façades quelques objets usuels. Rien qui ne mérite l’attention, qui n’accroche le regard, n’ouvre l’espace d’une réflexion. Mais les choses sont-elles si simples qu’elles le paraissent ? Comme si le réel ne se laissait aborder que d’une façon exotérique - sa confondante matérialité, sa mutité -, et non d’une façon ésotérique, cette dernière laissant apparaître ce qui se dissimule sous la fibre du bois et en constitue son âme, le langage qui nous est adressé en mode crypté.

Que voyons-nous, sinon cette chaîne qui dit le foyer précieux, le lieu à ne pas profaner, comme s’il s’agissait d’un sanctuaire abritant quelque dieu ou bien, plus modestement, les traces intimes d’un exister sur terre ? Que voyons-nous, sinon cette fenêtre derrière laquelle se blottit la confidence, bien loin des agoras humaines où court le vent des agitations mondaines ? Que voyons-nous, sinon ces deux chiffres disant, non seulement l’adresse, la position de l’habiter, ses coordonnées spatiales, mais le chiffre de l’homme, le sens de sa destiné, en ce lieu, en ce temps, parmi le hasard des rencontres ? Que voyons-nous, sinon le tonneau qui invite à la libation, à la fraternité autour d’un verre, à la chaleur d’un foyer ? Que voyons-nous, sinon le grillage qui dit la clôture des choses, l’unique de l’individuel au regard de la dispersion du collectif ? Que voyons-nous, sinon les planches afin que la modeste demeure puisse être réparée qui abrite l’habitant de la pluie, de l’orage, de toute chose fâcheuse à l’horizon du monde ? Que voyons-nous, sinon l’existence en sa polyphonie, cette si belle arche en devenir qui nous porte bien au-delà de nous en des terres inconnues ? Ici naissent les yeux fertiles !

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25 février 2015 3 25 /02 /février /2015 10:02
Esthétique heureuse du simple.

Nous regardons ce qui nous fait face dans la simplicité et nous sommes fascinés. Il ne s’agit pourtant de presque rien. Trois ou quatre feuilles de carton emportées par le vent que la pluie, le soleil, auront métamorphosées en une matière nouvelle. Il s’en faudrait de peu qu’elle ne devienne parchemin, pliure de roche sous l’effet de quelque érosion. Mais il y a plus. Dans cette présence à mi-distance du paraître et de l’absence, c’est à l’évidence un genre de palimpseste qui se propose, une manière de complexité.

Alors la tentation est grande de poétiser, de faire appel à la majesté de la métaphore. Et nous disons : « Ces feuilles étaient là, pareilles aux sillons de la terre, au limon qu’aurait griffé la patte de quelque animal antédiluvien. » Oui, mais alors nous sentons la grandiloquence faire ses flux, le lyrisme gonfler ses eaux, la période proche qui fera s’épanouir le levain de l’écriture. Il nous faut donc revenir à de plus modestes considérations. A simplement avoir utilisé le comparatif « pareilles » et, déjà nous ne sommes plus dans la nature de la feuille. Ailleurs qu’en elle-même, ailleurs que dans ce qui la constitue en tant que son essence. Nous parlons de la chose à partir de ce qu’elle n’est pas, à savoir cette matière ductile dont l’argile constituerait la forme la plus approchée.

Jamais on ne cerne mieux le sens profond d’une chose qu’à la ramener à ce qui la pose devant nous comme le fondement qu’elle est : une simple feuille que des nervures parcourent, alors qu’un peu d’espace lui est accordé et, surtout, du temps, ce par quoi elle est, dans le même geste que nous sommes présents à elle. Dans la pureté d’une vérité. Il n’y a guère d’autre façon de regarder qu’à l’aune de cette vision immédiate de nous au monde, du monde à nous. Regarder de telle manière nous fait passer d’une vision esthétique à une vision éthique. A ceci est attachée bien plus qu’une nuance.

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25 février 2015 3 25 /02 /février /2015 09:42
Dans la brume de vous.

Ce matin de novembre était si froid, si mystérieux avec ses écharpes de brume, ses arbres étiques perdus dans l’ombre du jour, ses silhouettes qu’on voyait du bout des doigts. Puis tout disparaissait et ne restait plus qu’un doute douloureux, une épine plantée dans le front, un pieu enfoncé dans la chair. C’était si étrange cette vacuité des choses, cette totale perdition et l’on ne s’appartenait plus dans le tumulte soudain du corps. Comme un écartèlement, une étonnante diaspora et la conscience se réduisait à ce lumignon qui vacillait, semblable à la vision étroite du condamné.

Votre apparition dans ce temps sans consistance fut une révélation si subite qu’un frisson parcourut mon échine, qu’un éclair illumina l’antre fermé de mes yeux. Etiez-vous au moins une femme ? Je veux dire une femme de la réalité, ayant un corps, des seins menus, des désirs fichés au creux des reins ? Un atteignable, autrement dit.

Ou bien alors une simple image que mon imaginaire se plaisait à habiller des brumes de la fantaisie ? Une brune Sylvie, une « Fille du feu » chère à Nerval aperçue dans le cercle d’une danse et qui, jamais, ne reparut ? Etiez-vous cette fuite dont je demeurais en deuil ? Un chien noir passa et longtemps sa marche diagonale s’incrusta dans l’arbuste de ma tête, y inscrivant de bien étranges partitions. Vous avait-il ravie à mon regard, soustrait à la meute dense de mon envie de vous, ici, dans cette brume qui faisait son linceul blanc ? Un genre de suaire ou bien de linge définitif.

Ce matin de novembre était si froid et je n’existais pas. J’étais l’ombre qui, dans le brouillard, dans les eaux limpides du temps, se résolvait à n’être que l’effroi de lui-même et je n’existais pas.

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24 février 2015 2 24 /02 /février /2015 09:30
Le vol indécis des flamants.

C’était tellement toi, cette basse ligne d’horizon, cette étendue de pierres noires, ce ciel bleu et son effacement blanc, ce vol de flamants si haut qu’il se perdait à la vue, simple fuite dans l’inclinaison du jour. Tellement toi ! Il suffisait de te regarder. De voir la fumée sortir de ta bouche pareille à la matière du songe. Cette éternelle cigarette : un emblème. Et cette ligne flexueuse qui courait le long de ton front comme la pluie d’automne. Il suffisait.

Cet étrange romantisme qui t’habitait. Qui luttait avec le flux de la passion. La flamme sous l’ombre. La sombre volonté entrelacée avec cette infinie tristesse. Le concret du sol soutenant l’espace éthéré de l’idéal.

Et quelle fascination que celle des flamants, de leur vol tendu à la lisière du jour ! Etaient-ils la figure de ce que tu vivais ? Un hiéroglyphe à peine visible alors que le réel était une tentation, un cruel désir fiché au plein de ta chair ? Si impénétrable, distante et cependant disponible, ouverte à la lumière, à sa décroissance sur le cercle alangui du monde. Beauté du vol que tes yeux reflétaient pareils à un miroir. Oui, à un miroir !

Le vol indécis des flamants.
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23 février 2015 1 23 /02 /février /2015 09:04
L’œuvre était sublime.

C’était comme d’être seul au monde et d’en être affecté jusqu’à l’absurde. Que faisais-je, là, dans cette ville inconnue, derrière ces ferrures verticales qui ressemblaient tant aux barreaux d’une geôle ? Ressemblais-je à Roquentin errant dans le jardin public de Bouville après qu’il a pris conscience de ce qu’exister veut dire ? De la terrible contingence. De la nausée qui, toujours, se loge dans la racine des choses. Savais-je, au moins, que j’étais vivant ? Qu’un possible projet existait ? Que la finitude n’était pas pour encore. Savais-je cela ou bien vivre n’était-il qu’une manière de longue errance, de fuite sans fin ?

Le soleil d’automne faisait sa flaque diffuse, les feuillages viraient au jaune, à la rouille, parfois au cuivre. C’est dans cette lumière levante, à peine posée sur le contour des choses, que soudain, tout s’est éclairé. Le tram a glissé sur les rails avec son bruit de feutre. Carrosserie brillante teintée de mauve, grandes vitres panoramiques comme sur les modernes ferries. Plusieurs personnes en descendent, pressées d’aller nulle part, sans doute.

Et vous, que faisiez-vous dans cette foule anonyme ? Vous, pareille au rayon du soleil surgissant de la brume. Grande, aux longs cheveux cascadant sur les épaules, votre robe s’est un instant entr’ouverte. L’œuvre était sublime. Sur l’éclat blanc de la peau, l’éclair d’une soie noire, l’invite au secret puis la fuite du temps et plus rien de visible que ces passants absents d’eux-mêmes, quelques enfants jouant à se poursuivre. Oui, de cela j’étais sûr, l’origine du monde, je l’avais vue. Oh, certes, je n’étais pas Courbet lui-même. Ni un démiurge. Pas plus qu’un visionnaire. Cependant je ne pouvais en douter, j’étais né, là, derrière ces barreaux, né à moi-même dans la plus grande des certitudes qui soit. Celle de pouvoir, un jour, être aimé de vous.

Dix ans, déjà, que j’attends votre retour. Dix ans de dévotion à votre image. Et nulle douleur, nul chagrin qui entailleraient l’âme. Seulement quelques taches de moisissure, quelques ilots de lichen, quelques attaques à la périphérie du corps. C’est si fragile la pierre, lorsque passent les nuages, que frappe la pluie, qu’étrécit le gel à la taille de ce que l’on fut, un jour, dans l’éblouissement d’une apparition. Si fragile, la pierre !

L’œuvre était sublime.
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22 février 2015 7 22 /02 /février /2015 10:43
Invisibles dans le jour qui vient.

Si peu visibles, dans le jour qui vient. A peine consistance du songe, vol du martinet contre la vitre du ciel, brume flottant sur la lagune. Etes-vous VRAIMENT présents ? Ou bien, alors, ne demeurez-vous dans votre enceinte de peau qu’à l’aune de mon imaginaire ? Dans la cage d’os de votre tête à la mesure de vos pensées ? Tellement confondus. Tellement absents. Glissades sur le trottoir de ciment.

Perdu dans le gris, le trottoir. Et ces arbres qui font un cadre à votre cheminement, sont-ils autre chose qu’une fantasque destinée dont vous auriez habillé votre perpétuelle errance ? Et ces feuillaisons dont vous vous détachez si peu, vous attirent-elles vers de sublimes idées ? Est-ce vous qui les sécrétez, comme l’abeille le miel ? Ou bien n’en êtes-vous qu’une manière d’hypostase, une perdition, genre de nectar qui se dissoudrait à même sa profération ?

Les choses sont si peu assurées, voyez-vous. C’est toujours un exil d’être extérieur aux hommes, aux choses, à la feuille d’automne, aux nervures qui disent le temps passé sans possible retour. Et moi qui vous regarde, ne suis-je simplement le jouet d’une hallucination, le produit de votre constante fuite ? Il est si difficile de vivre. Alors comment pourrions-nous exister ?

Comment être dans ce maelstrom qui nous invite au néant et nous soustrait à la seule possession à laquelle nous puissions prétendre. Le fil de notre conscience et sa tension funambule entre deux incommensurables riens ? Comment pourrions-nous ?

Invisibles dans le jour qui vient.
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20 février 2015 5 20 /02 /février /2015 19:59
Fallait-il ruiner la passion ?

Fallait-il ruiner la passion, édifier une nouvelle raison ?

C’était comme cela que ça avait commencé. De grandes zébrures avaient envahi la neige du ciel, de grandes failles s’étaient ouvertes et des millions de phosphènes éblouissants comme mille comètes nageaient vers le sol avec des sortes de convulsions. Magma incandescent, lave invasive, bombes volcaniques faisant leur mortel borborygme. Et les hommes, saisis d’un immémorial réflexe avaient reflué vers les grottes de calcaire, les abris où leurs ancêtres, il y a des millions d’années, sur les aires pariétales, dessinaient les premières flèches, les premières rébellions contre la nature hostile du monde.

Fallait-il ruiner la passion, édifier une nouvelle raison ?

Partout était l’immense exténuation qui faisait les échines courbes et fuyantes comme celles des hyènes. Partout étaient les larmes de résine qui coulaient des yeux envahis de glaucome et de doute. Partout la grande frayeur d’être sur terre, sous le ciel et de n’en pouvoir réchapper. Fourches caudines enserrant l’enclume de la tête. Bélier têtu et contondant martelant les poitrines de sa hargne épileptique. Berceau de Judas enfonçant sa pyramide de métal dans la stupeur des génitoires. Tridents sataniques distribuant à l’aveugle les pointes acérées du mal. Partout l’effroi enduisant de glace et de frimas la moindre parcelle de peau. Partout peste et bubons semant à tous vents la hargne d’un malin génie.

Fallait-il ruiner la passion, édifier une nouvelle raison ?

Du ciel tombaient de minces éjaculations monochromes. De la terre montaient des trilles de lamentations hémiplégiques. De l’entre-deux où vivaient les derniers hommes s’évaporait le fumet doucereux des âmes en décomposition. Les terriens avaient été inconséquents, insouciants, se gaussant de tout, jetant aux orties tout ce qui ressemblait à la beauté, se vautrant dans la cupidité, se goinfrant d’égoïsme, s’oignant de stupre et de suffisance, plongeant, tels des cochons sauvages dans la soue emplie de remugles délétères. Les hommes s’étaient battus contre leurs ennemis, contre leurs amis et, pour finir, contre eux-mêmes. Ils n’étaient plus, sous les étoiles, qu’un faible murmure, un touchant vagissement pareil à celui du nouveau-né. Des bourgeons avaient colonisé les globes de leurs yeux. Des bouchons de cire obturaient leurs oreilles. Leurs langues étaient de mortelles sangsues. Leur cou une colonne de marbre. Leur poitrine un soufflet dont le cuir bouilli avait fondu. Leur ventre, un antre semé d’eaux putrides. Leur sexe, un épouvantail ; leurs genoux des bilboquets de buis ; leurs pieds, des ventouses visqueuses les clouant dans l’hébétude de leur mortelle condition. Et, par-dessus tout, soufflait le vent du néant, pareil à l’harmattan chargé d’air polaire. Partout le vide et la désolation. Sauf une mince voix, fragile et chevrotante comme celle d’un jeune agneau. Elle venait de l’espace, des confins lointains de la galaxie et disait :

« S' il vous plaît... dessine-moi un mouton ! »

Mais les hommes ne pouvaient l’entendre, ils étaient sourds aux parole de sagesse, aveugles aux dessins, indociles aux belles manifestations de l’art. A tout cela ils préféraient l’inconfort de la grotte, la lutte avec leurs semblables, la mutité de l’inconnaissance.

Fallait-il ruiner la passion, édifier une nouvelle raison ?

Fallait-il ruiner la passion ?
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20 février 2015 5 20 /02 /février /2015 09:42
La vie-oxymore.

Nous cheminions avec mon alter ego sur une petite route de campagne. « La vie-oxymore », pensais-je à haute voix, à mon corps défendant. « Qu’est-ce à dire ? », reprit mon alter avec un brin de malice dans la voix.

« Parles-tu de cette obscure clarté qui tombe des étoiles ? ».

Je dois avouer, j’étais un brin agacé de ces remarques faites sur le ton suffisant du lettré, de cet esprit qui ne voulait saisir du réel que sa mousse aérienne. Mais, en un sens, mon double avait saisi en quoi l’existence était, bel et bien, un vrai dilemme cornélien. Marchant sur le bitume rongé de mousse et taché de lichen, je ne pouvais m’empêcher de penser à cette belle métaphore de Baudelaire dans Petits poèmes en prose :

« Le voici qui, à la clarté sombre des réverbères tourmentés par le vent de la nuit, remonte une des longues rues tortueuses et peuplées de petits ménages de la montagne Sainte-Geneviève. »

Pourtant nous n’étions, mon alter et moi, ni sur les pentes de la Montagne Sainte-Geneviève, ni dans ses rues si caractéristiques et troublantes. Cependant, je sentais que sa remarque candide, à première vue, ne manquait pas de profondeur. N’étions-nous pas, en effet, tout comme cette modeste route traversée d’ombres et de lumières, identiquement aux étoiles cernées de nuit, aux réverbères diffusant leur onde fuligineuse, de simples êtres que la joie visitait, en même temps qu’une étrange douleur vrillait notre ombilic à la manière d’une maladie sournoise et définitive ? Le baiser glacé de Thanatos sur la bouche rubescente d’Eros. « Le vent de la nuit » ne faisait-il pas de notre corps ce fétu de paille que le destin emportait dans les mailles étroites de sa décision ?

La nature était belle, un frêle ruisseau aux eaux claires faisait sa parution de coccinelle, des feuilles mortes festonnaient le chemin, des oiseaux, des martins-pêcheurs à la tunique émeraude, des pics épeiches rouges et verts, des chardonnerets multicolores, lançaient leurs trilles printanières comme une pluie de joyeux grelots. Il y avait beaucoup de bonheur à glisser ainsi, genre d’écume à la face des choses en oubliant le rigoureux hiver qui, encore, tapissait de givre les combes ombreuses. Il y avait facilité à vivre, ici, sous le tumulte des feuillages, dans l’arche ouverte des arbres, sous les caresses déjà appuyées des rayons du soleil. Beaucoup à espérer du jour à venir.

« N’entends-tu pas le croassement des noires corneilles, les lugubres éructations des freux qui moissonnent le ciel de leur lame définitive ? N’entends-tu pas ? »

C’est ainsi que s’exprimait mon ego, avec un certain réalisme que teintait de noir et de mélancolie la seule pensée de la « vie-oxymore », une noire recouvrant une blanche en une étrange et confondante partition. Alors, lassé de tant de vérité urticante, mon ego, je l’ai enseveli dans le linceul de mon mouchoir, tout au fond de ma poche envahie de ténèbres et j’ai poursuivi mon chemin dans l’air qui chantait.

La vie-oxymore.
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17 février 2015 2 17 /02 /février /2015 08:58
Que savons-nous de l’herbe ?

« La terre produisit de la verdure, de l'herbe portant de la semence selon son espèce, et des arbres donnant du fruit et ayant en eux leur semence selon leur espèce. » (Genèse - 1 : 12).

A l’origine, l’herbe avait constitué le début d’une fable, les prémices d’un généreux poème dont les hommes étaient invités à se saisir. La terre chantait l’herbe, la prodigieuse verdure, la croissance infinie par laquelle connaître le monde et y paraître à l’unisson de cette marée verte. Mais le chant remis aux hommes était vite devenu simple prose, puis silence et l’herbe, on l’avait oubliée. Elle n’était plus que ce tapis invisible, ce naturel épiderme couvrant collines et vallons. On vivait au-dessus d’elle, on l’ignorait avec une manière de superbe, comme on l’eût fait du ver se dissimulant dans les plis de l’humus. Pourtant, il y avait tellement de choses à voir à seulement la frôler, l’herbe.

Elle était cette souple ondulation,

ce minuscule remuement

près du miroir de l’eau

ou bien cette houle jaune

dans l’aridité de la savane.

Elle était ce roulis

dévalant en plein ciel

sur les hauts plateaux de l’altiplano

où elle imitait la laine

immatérielle des vigognes,

ces créatures célestes,

un pied dans le réel,

un autre dans la contrée

de l’invisible.

L’herbe, cette si belle métaphore, cette image mouvante, cette vérité disant, par la toile serrée de son rhizome, son attachement au royaume des morts, par ses pointes terminales son dialogue avec le monde des existants. De sa naissance à sa mort, en passant par son intime épanouissement à la face des choses, elle était le témoin du temps, la clepsydre agitée par le vent et la brume, là tout contre le marais, afin que les hommes connussent leur propre temporalité, leur juste mesure, la trace, en eux, de la finitude.

De cela, simplement,

les vivants sur Terre

auraient dû être alertés.

Ce qu’ils auraient pu faire :

s’asseoir dans le frais des ombrages,

tout près du murmure d’une rivière,

avec les fûts des grands arbres

en toile de fond et regarder

afin que leur âme fût emplie

de cette immédiateté des choses.

Ce qu’ils auraient vu :

dans le balancement du vent,

la pliure des herbes pareille

à une sudation de la terre ;

les éclats de diamant, l’hiver,

lorsque le soleil traverse

leur tunique de givre ;

les tiges phosphorescentes

des libellules les butinant,

le vol erratique de l’argus satiné,

sa consistance de flamme

ou bien la vibration des ocelles

du paon du jour,

comme pour dire la nécessaire

ouverture des yeux,

l’attente de ce qui est,

là dans la donation toujours ouverte,

l’oblativité de la nature,

son infinie prodigalité.

Voici ce que les hommes auraient pu faire mais le tumulte des fleurs blanches, le soleil des corolles les concerne si peu. Ils vaquent à leurs occupations, ils enfouissent leur trompe dans le calice des contingences et les fleurs pleurent, longuement !

Que savons-nous de l’herbe ?
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