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21 janvier 2015 3 21 /01 /janvier /2015 08:42

 

L'être-dicible de l'écriture.

 

 gt1

 

 [Le texte en graphies rouges est le texte originel de Guillaume Toumi. Celui en graphies noires est mon apport personnel dont je souhaiterais qu'il soit perçu dans un prolongement tissé d'affinités avec cela qui fait sens et autorise ainsi la poursuite d'une mince "tâche herméneutique".]

 

"Écrire, c'est retourner la consistance des lettres
et les vider de leur néant 
c'est penser, écorcher, vivre, caresser, tomber, laisser tomber, puis encore tomber
et se relever dans un champ de douleurs en friche 
caché derrière un épouvantail de rapaces
c'est écouter le souffle chocolat de la simplicité
chercher le vers parfait au cœur d'un tournesol invisible 
c'est exiger l'amour, mendier l'océan
c'est peindre ses pupilles sans oublier qu'elles ont une âme 
enfoncer les portes de l'existence sans se préoccuper des serrures 
c'est baiser une goutte d'eau et mordre à pleine plume la gorge du monde

Écrire, c'est aimer le langage comme sa propre mère
et lui faire l'amour comme à son ange
c'est faire danser ses pas à la couleur des flammes
et faire rugir sa peau de mille orgasmes
c'est respirer l'en dehors et en distiller l'Instant
pour enfanter le non-mot

Écrire, c'est tutoyer l'indicible." 

 

 

  

 Du beau poème de Guillaume, nous retiendrons seulement les deux premiers vers ainsi que les trois derniers, pour la simple raison que cet assemblage - comme pour les bons vins -, se suffit à lui-même et met synthétiquement en lumière ce qui se joue au travers de l'acte poétique :

 

"Écrire, c'est retourner la consistance des lettres
et les vider de leur néant

c'est respirer l'en dehors et en distiller l'Instant
pour enfanter le non-mot
Écrire, c'est tutoyer l'indicible."

 

 

  "Écrire, c'est retourner la consistance des lettres, c'est avoir affaire au réel et s'y colleter, c'est arc-bouter son corps, tendre son esprit, disposer son âme en conque afin que quelque chose de l'ordre de la beauté vienne y trouver abri. Car les mots résistent, car les mots se rebellent, car les mots demandent le silence, la pureté, la non-parution sur la scène du monde. Quand on est mot, on se suffit à soi-même, on est un absolu pourvu de toutes les signifiances, on est infinie polysémie, on est polyphonie dans laquelle se recueille le chant du monde. Le Poète inquiet est là qui regarde l'empyrée, domaine secret des mots, et cherche le vers qui réalisera leur désocclusion, leur surgissement au plein jour.

  Seulement les mots ont peur de la lumière, les mots clignent des yeux sous les assauts d'une vive clarté. C'est ainsi, lorsque l'on a trouvé son équilibre interne, à quoi bon aller chercher au dehors ce que l'on possède comme un don, une faveur, à l'intérieur de soi ? Le sens est à lui-même la gemme brillant de tous ses éclats. Tous les fragments se réverbèrent à l'infini, tout concourt à faire émerger le tout du monde. Le Poème est cette pierre intimement refermée sur son ombilic qui, jamais, n'attend quoi que ce soit d'une effraction hors de son champ. Le Poème est un hiéroglyphe et peu nombreux sont les élus, les Champollion parvenant à les déchiffrer, à forer la paroi qui conduit à la pure merveille. Il faut une initiation, il faut une science, il faut une longue patience. L'oursin ne livre jamais son corail qu'à ceux qui sont parvenus à éviter les piquants et leur venin urticant.

  Souvent le Voyeur est trop pressé, soumis à une urgence et c'est sans précaution que le Poème est défloré, ne livrant qu'un bien piètre hyménée. Car c'est de l'ordre d'une virginité à découvrir, mais dans un cheminement discret, une cour à peine visible, c'est être chèvrefeuille et s'enrouler, doucement autour de l'Aimée, cette Poésie qui fait ses arabesques presque invisibles, tellement proches de la vibration du cristal. C'est un effleurement, c'est la marche de l'araignée d'eau sur le miroir du lac, c'est le vol stationnaire du colibri alors que les ailes vibrent à la vitesse des flammes.

  Souvent le Poète, pris d'une soudaine frénésie, plonge sa plume dans la gorge nubile et alors ce ne sont que larmes de sang et ruisseaux de lymphe. Sécrétions retenues de l'Aimée, impérieuses de l'Amant trop empressé à surgir dans le temple de la beauté. Écoulements de résine hors du tronc qui les retenait soudées entre elles, à l'abri de la curiosité mondaine. Épanchement survenu à son étiage avant même que la source n'ai consenti à faire scintiller ses gouttes de rosée. Il en est ainsi de toute forme d'art, elle ne se dévoile qu'aux yeux de ceux qui savent voir, dans les choses, leur qualité première, leur innocence originelle. Le rare porte toujours en lui la nécessité de demeurer dans cette réserve même qui en constitue l'essence. Rien ne sert de transgresser cette manière d'apodicticité, sinon à métamorphoser le beau "devisement du monde" en une complainte illisible.

  La Poésie est là, tout autour de nous, qui fait son murmure, ses battements d'ailes, ses discrets pas de deux et nous sommes orphelins, et nous voulons participer à la fête, nous voulons danser, nous abreuver aux sources vives de l'ambroisie, nous voulons l'ivresse. Mais les mots résistent, mais les mots sont légion, en bataillons serrés et ceci nous désespère. Alors nous usons d'une tactique immémoriale qui consiste, non à attaquer la forteresse en son ensemble, mais à en desceller les moellons un à un. Nous visons les lettres, nous les prenons au pied, nous les retournons afin qu'elles rendent leur jus, nous les vidons de leur néant. Nous voulons les posséder jusqu'en leur chair intime, nous croyons trouver en elles le secret dont  le Poème semble avoir juré de ne jamais nous faire l'oblativité. Cela résiste, cela tient tête, cela promet une proche défaite. Nous ne sommes décidemment pas très sûrs de la justesse de notre choix, de l'exactitude du cheminement. Mais nous persistons, nous assemblons celles des lettres qui ont cédé à nos instances, nous lions en mots, nous organisons en phrases, nous avons enfin, le versle textele poème.

  Nous savons qu'il est de la nature du réel de résister, de dresser des obstacles. Ceci nous en sommes informés aussi bien que du lever quotidien de l'astre blanc au milieu du ciel. Nous nous arrangeons avec cela, nous poussons devant nous la boule de la Nécessité, comme le scarabée le fait de sa boule excrémentielle, comme Sisyphe le fait de son rocher le long de la pente de la montagne. Nous faisons des navettes, des allers et retours. Le réel résiste toujours. Alors nous usons d'un subterfuge. Ce réel têtu, nous décidons simplement de le métamorphoser, nous en choisissons les nervures les plus simples, les plus apparentes, à savoir les éléments : eauairfeuterre. D'eux nous sommes assurés, d'eux nous pouvons dire qu'ils constituent la quadrature indépassable à partir de laquelle nous pouvons édifier notre tremplin ontologique. Les Poèmes seront la mise en musique de cette belle épiphanie de la Nature. Comment pourrait-on en faire l'économie ? Alors nous écrivons des phrases que nous souhaitons poétiques.

  Alors nous écrivons l'eau : "Au loin, la mer n'était que cette plaque immobile, ce grand dôme de mercure dressant contre le ciel sa courbe étincelante."

  Alors nous écrivons l'air : "Les meutes d'air balayaient la terre sur toute la ligne d'horizon. Les battements blancs des mouettes s'y perdaient dans un étourdissement solaire."

  Alors nous écrivons le feu : "A l'heure de midi, sur la vibration étrange du désert, sur les fragments aigus du mica, c'était comme un pur jaillissement d'étincelles, une arche de flammes qui exténuait tout jusqu'à la négation."

  Alors nous écrivons la terre : "Aux confins des terres retournées, ce n'était que teintes douces d'argile, empreintes lisses de céladon, coulures de glacis bruns. L'automne, ces jours-là, était pure donation de lumière."

  Oui, celles-ci, ces phrases que nous croyons poétiques, nous les avons écrites sous la férule d'une impatience, sous la dictée d'un imaginaire prompt à faire feu de tout bois, sous la poussée d'une turgescence métabolique. Mais, une fois tracées dans le cadre étroit de la feuille, qu'en reste-t-il ? A peine plus que la légère persistance de la brume contre le ciel de l'aube. Un à peine frémissement et tout demeure à être refait, comme un éternel retour du même. En réalité, nous nous sommes arrangés avec, précisément cette réalité-là, nous l'avons tressée selon impressions immédiates et métaphores, mais, pour autant, avons-nous commis une quelconque poésie ? Seulement des lambeaux de phrase qui restent suspendues dans l'espace, attendant. Mais attendant quoi ? Mais d'être fécondées par "l'en dehors et en distiller l'Instant", cet "en-dehors" si mystérieux qu'il pourrait bien ne pas exister, sinon à être remis à nos mains négatives griffant l'air de leurs malhabiles concrétions. Car nous devons nous rendre à une évidence, à la jonction du réel et du symbole-imaginaire, nulle poésie ne peut advenir si elle n'est traversée d'un souffle plus puissant que celui des mots eux-mêmes. Car si les mots signifient pleinement, leur simple assemblage ne saurait suffire à convoque la poésie. Si les quatre éléments dont nous disposons - eauairfeuterre -,  comme autant de matériaux possiblement disposés à faire surgir de l'invisible - de l'art -, constituent les fondations nécessaires, elles ne sont que rarement suffisantes. Il leur faut un "supplément d'âme", une cinquième essence, une "quintessence" afin que du visible des mots, du palpable de la réalité, puisse s'exhausser ce qui nous conduit au-delà de nous-mêmes, dans la contrée blanche, immense, hyperboréenne, là où se dressent les cathédrales exactes des glaciers, dans ce genre d'ultima Thulé, à la racine duquel s'attache un sentiment étrange que Saint-John Perse, dans "Exil"désignait ainsi : "J'élis un lieu flagrant et nul"; "un grand poème né de rien, un grand poème fait de rien, où fume encore le thème du néant." [C'est moi qui souligne].

  La confrontation au problème de la poésie, à celui de l'existence de l'art ne pouvait guère recevoir de formulation plus heureuse. Pas plus que la quintessence ne saurait trouver de définition exacte - elle n'est que passage, mouvement d'un élément à un autre et, pour finir, synthèse assemblante -, pas plus ce qui s'accomplit dans le domaine esthétique ne pourrait recevoir de nomination précise dont on pourrait tracer une typologie, tracer des contours. L'art, est toujours art des marges, art des limbes. A seulement tenter de le poser devant soi, tel un objet, on ne fait que procéder à sa disparition immédiate. L'on doit se résoudre, à l'encontre de toute rationalité, de tout discours positiviste à admettre une part d'inexpliqué, d'invisible, d'impalpable.

  "Écrire, c'est tutoyer l'indicible." De cette constatation qui, pour certains, sonne comme une aporie, qui pour d'autres se revêt des fastes de ce qui, toujours, reste à découvrir et présente le caractère de la merveille, nous devons faire le fondement de notre chemin en direction de toute connaissance. C'est bien parce que le majestueux glacier de la  Terre de Baffin dissimule à nos yeux ce qui en constitue l'essentiel, à savoir la partie immergée, qu'il nous attire si fortement et nous interroge. La poésie, aussi bien que toute autre forme d'art repose dans cette masse translucide qui flotte entre deux eaux avec sa belle couleur d'âme, alors que le soleil est blanc, la terre inapparente et l'air tendu comme l'aile de l'oiseau. Nous venons de citer, à nouveau ces éléments qui nous constituent, nous sommes nous aussi, eauairfeuterre, et ne demandons qu'à rayonner à l'aune de quelque poésie. Il suffit de s'y adonner avec une belle ardeur !

 

 

 

 

 

 

                                              

 

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