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5 juillet 2020 7 05 /07 /juillet /2020 08:51
Désert ou la présence à soi

                   Photographie : Hervé Baïs

 

 

***

 

 

   Envol de l’âme

 

   Aux portes du désert on a quitté sa parure mondaine, on s’est dépouillé de ses atours, on a poncé sa peau jusqu’à la chair, on s’est détaché de toutes ses adhérences matérielles afin que, l’âme libérée, puisse prendre son envol. C’est léger une âme, c’est brillant. Ça a la transparence d’une eau, la résonance d’un cristal. C’est comme un cerf-volant, ça nage dans la trame souple de l’air, ça claque au vent, ça a une traîne qui déplie longuement la minceur d’une histoire. Juste une fiction tutoyant la partie libre, ouverte, des choses. Seuls ceux qui, en eux, reconnaissent cette simple figure peuvent connaître le désert, s’y inscrire tel l’un de ses fils, y dérouler la pelote sans début ni fin d’une félicité imminente qui ne doit rien à quelque calcul, à quelque compromission. Son propre désert face au désert de sable et d’immensité. Il faut donc être parvenu à cette exigence qui vous livre nu face à la nudité. Comment pourrait-on rencontrer l’invisible depuis le socle d’une présence massive ? Seules les ressemblances, les affinités, les convergences électives réalisent cette rencontre de l’homme avec une Nature qui, certainement le dépasse, mais l’englobe comme l’un des siens. Et cette tâche ne trouvera sa complétude que dans une mimétique des comportements : le désert est mon miroir dont les reflets m’attirent et me fascinent. Nous sommes le lieu confondu d’une même tension : être soi plus que soi dans la dimension accueillante de l’autre.

  

   Monde étrange des Nomades

 

   Mais qu’est-ce donc qui vient à moi dans ce prisme de pureté ? Ici, il n’y a pas d’heure, sauf la fraîcheur de l’aube, la brûlure au zénith, le froid, la nuit, dans les vagues de sable. Ici, il n’y a pas d’espace, sauf la vastitude du ciel ricochant sur l’amplitude du rien. C’est là le monde étrange des Nomades, cette féérie sans autre cadre possible que la scansion d’une marche infinie. Ils passent, lentement, au rythme immémorial de leur monture, drapés dans de grands châles de silence. Leur présence dans cette scène irréelle sonne à la manière d’une absence dont on n’apercevrait que quelques nervures, telles ces feuilles d’automne trouées par le vent. Leur avancée dans l’imperceptible est chorégraphie du balancement, cette manière d’à peine insistance qui sied aux peuples à la grande sagesse, aux chamans sacrificiels, aux sourciers des profondeurs, aux chercheurs d’étoiles dans l’encre du firmament.

  

   Trace originelle

 

   Cette scène qui nous est offerte dans le genre d’un privilège tient sa densité d’une trace originelle. Comme si, veilleurs d’aube, cette caravane venait à nous dans un matin initial que nulle souillure n’aurait pu atteindre. Hors limite. Dans le plein d’une vérité. Le désert ne triche pas. Pas plus que les immenses steppes de Mongolie, la dalle des plateaux andins, les cimes du Karakoram, la calotte glaciaire des pôles. Toujours les lieux d’exception, domaines de l’unique, du ciel, du sable, de l’herbe, du rocher, de la glace, sont les déclinaisons des plus hautes vertus au pied desquelles tout homme ressent intensément sa condition mortelle tout en s’y arrachant. Simple question de dialectique : l’immense appelle toujours l’inaperçu, le modeste, le discret. Présence infinie du monde jouant en écho avec notre présence finie, bornée, marquée au fer de la contingence. Dépliement de la transcendance occultant la pure immanence de l’être de chair et de corruption. De cet affrontement naît le tragique. De cet affrontement naît la beauté.

  

   Chair du réel

 

   La nuit a été froide dans le bivouac cloué sur la dalle de sable. Corps roidis qu’un thé brûlant a bien du mal à réveiller, à ramener sur la rive du jour. On étire ses membres qui craquent. On déplisse ses paupières. On fait quelques pas pour retrouver la chair du réel. Le réel est ce qu’on touche. Tout le reste n’est qu’image, illusion, pure affabulation. Pour cette raison on palpe son corps. On éprouve le rugueux des vergetures du sable. On pousse du pied la dernière braise nocturne. On lustre ses yeux afin d’y enclore toute la verticalité possible. Autrement dit toute l’exactitude qui, ici, ouvre son domaine. Le haut du ciel est une floculation noire qui flotte au plus haut. Là-bas, au loin, la crête des dunes s’ourle de gris profond, une bande plus claire d’air vient s’y poser tel l’oiseau sur la branche. Teinte à peine visible devenue métaphore de calme, de paix.

  

   Feu de la nécessité

 

   Au pied de l’isthme de sable, quelques nomades sur leurs montures, ligne furtive qui glisse vers l’horizon et se confond avec lui. Seul ce geste pudique convient à la sérénité du lieu. Puis une grande flaque d’eau argentée. N’est-elle le miroir où les consciences, nécessairement s’abreuvent dans le long voyage vers l’inconnu ? Vers quel destin s’évanouissent ces hommes ? Vers les Salines de Dkhila, ces mers intérieures ? Vers le grand marché de Mopti au bord du fleuve Niger ? Vers le puits de M’Hamid El Ghizlane, au milieu du chaos de pierres ?  C’est si étrange un destin de nomades, si poinçonné au feu de la nécessité. Marcher d’interminables heures pour ne rencontrer que d’étiques provendes, des troupeaux harassés, une eau saumâtre qui brûle le gosier. Là est la vérité nue. On ne peut plus reculer. On ne peut plus prendre de prétextes fallacieux. Là on est face à soi, dans l’en-soi le plus aride, celui qui n’autorise nulle fuite. Là est l’absolu dans sa concrétude. Il n’y a plus de jeu au gré duquel se dispenser d’exister. Vivre est une dette dont il faut s’acquitter jusqu’au bout.

 

   On a connu le voyage

 

   On a marché sur le sol hérissé de bosses et de creux, parcouru de pleins et de déliés. On a connu l’eau que, bientôt la chaleur dissipera. On a connu la flaque. Bientôt elle deviendra mémoire du sol jusqu’à son prochain ressourcement. On a connu la longue plage qui ne semble finir, la falaise de mica qui la borde. On a connu le voyage des nomades qui n’est plus qu’une utopie se fondant dans les collines de dunes, ces illisibles contrées semées de signes dont nous ne connaîtrons jamais les significations secrètes. On s’est connu jusqu’à l’excès ou bien la douleur. On a vécu au rythme de cet espace qui, aussi bien, n’aurait pu recevoir de nom. Il en est ainsi des paysages essentiels. Leur présence suffit. Nommer est déjà limiter, circonscrire, répertorier, archiver dans l’étroitesse d’un prédicat. Liberté (entendez « Désert ») est d’un autre ordre. L’illimité ne saurait avoir de frontières.

   Bientôt le jour baissera. Les ombres grandiront. Le froid gagnera. On se glissera dans son sac de couchage, sous la veille attentive des étoiles. On deviendra nomade invisible à la recherche d’un chemin où graver ses pas. Que le sable effacera. Le chergui a sa loi qui n’est pas la nôtre. Sa brûlure, sa puissance inclinent à plus de modestie. Désert est exigence ou n’est pas.

 

 

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