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1 août 2018 3 01 /08 /août /2018 10:22
De la couleur à la ligne

                  Dessin : Blanc-Seing (1° état)

 

 

***

 

 

   Cela commence par du blanc, par du silence. Certes la feuille de papier (ou bien l’écran), n’est pas hostile, elle est pure vacance, attente du paraître. Elle ne dit rien et c’est cela qui lui confère sa foncière étrangeté. Le blanc renvoie la lumière, le blanc poudroie telle la neige et égare celui qui lui fait face. Du blanc on ne peut rien dire sinon sa tache livide, l’auréole du néant, la mutité à jamais de son être. Pour cette raison on s’impatiente, on veut y projeter les stigmates qui l’amèneront à la présence. Toute surface virginale est douleur : rien, en elle, ne s’est encore inscrit à l’horizon du monde commun, sur la dalle rassurante de la quotidienneté. Quoi de plus troublant qu’une haute falaise de craie contre laquelle s’abîme le rayon du regard ? La falaise nous rejette, nous renvoie à notre propre solitude. Or celle-ci est abysse qui habite les grands fonds baignés d’une éternelle nuit.

   Nul ne peut demeurer longtemps dans l’arraisonnement du livide sauf au consentement de sa propre folie. Quelque part, il faut que cela parle, que cela s’ouvre. Or le lactescent nous prive d’un dialogue puisque sa nature est d’être sans rhétorique. Le langage qui nous est soustrait, c’est à nous de le produire, de lui conférer ce tremplin coalescent à sa mission, dire le monde selon l’infinie multiplicité de ses esquisses. C’est uniquement pour cette assignation à profération que nous dessinons, écrivons, aimons sans doute aussi puisque l’amour est passage de toi à moi, jeu dialogique sans lequel il n’y aurait ni ego, ni altérité.

   Alors l’ivoirin, on le repousse, on l’amène à se retrancher derrière l’écran de la couleur. Oui, les couleurs sont un progrès. Elles ne disent pas tout mais elles instaurent l’espace d’une sémantique originelle. Le rouge est de feu et de désir. Le vert fait signe en direction de la nature, de la tache d’eau qui bourgeonne sous les frondaisons. Le marron est de terre, de pisé, de fruit mûr sous la lumière d’automne. Le gris est la courbure du galet sous le ciel d’étain. Le bleu est d’agate céleste, de lapis-lazuli, de khôl sur le bord d’une paupière. Le violet est améthyste ou bien mélancolie dans la stance hivernale. Certes nous avons dit bien des choses dans l’ordre des apparences et l’énumération aurait pu être sans fin. Les couleurs sont pure émergence. Elles se lèvent, agitent leurs oriflammes dans toutes les directions de l’espace. Elles sont une manière d’infini donnant toujours lieu à un nouveau sentiment, à cette chose qui nous attache, à ce ciel, à cette mer. On pourrait toujours tenter d’opposer à leur bavardage ces trois couleurs qui n’en sont pas, sont uniquement des façons d’absolus, noir, blanc, gris mais alors elles deviendraient mutiques à la mesure de leur abstraction. Le blanc, nous l’avons brocardé à notre manière.

De la couleur à la ligne

                        Dessin : 2° état

 

 

   A la polysémie colorée, à la pléthore des signifiances, il est nécessaire d’opposer la rigueur de la ligne, l’ordonnancement des formes qu’elle autorise, la clarté qu’elle installe, le rationnel qu’elle fait émerger afin de nous soustraire aux aléas des nominations plurielles qui ne font que nous désorienter La ligne vient interrompre la parade des couleurs, les assagit, les enclot dans le registre d’un donné immédiat, infiniment préhensible, un lexique ordonné faisant suite à la verbomanie des éclats, des tournures, des carnations qui habillent le réel. Toujours nous sommes désemparés face au dessin abstrait, à la peinture informelle, aux impératifs immotivés du non-figuratif. La ligne, nous la voulons pour nous rassurer, nous apaiser, donner à l’inconcevable la forme du vraisemblable, du cohérent, de la juste mesure selon laquelle nous voulons être au monde.

   Ainsi ce rouge-brique abrite-t-il une fenêtre, ce ton de chair un visage, ce noir dense une maison, ce vert d’eau une fleur, ce beige un soleil, ce gris un nuage, ce bleu un vol d’oiseaux. Autrement dit ces couleurs se portent au-devant d’elles dans une figuration humaine, une dimension existentielle faisant la part belle à nos visions et rencontres les plus ordinaires. Les couleurs qui menaçaient de nous engloutir dans leur sombre maelstrom, les voici canalisées, parlantes, parcourues de significations familières. Sans doute tout ceci explique-t-il notre soudaine sérénité. La ligne semble procéder à une sorte de réenchantement du monde, de ce monde enfantin où se donnent à voir maisons de guingois et personnages aux yeux immenses. Ce sont les figues tutélaires qui bercèrent les jeunes années de notre insouciance. Combien il est heureux, par ces simples lignes où se loge la couleur, de les retrouver. Parfois ceci s’annonce-t-il sous les traits d’une joie simple, innocente. La seule qui vaille, sans doute, dans cet univers privé de boussole !

 

 

  

 

 

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