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15 juin 2020 1 15 /06 /juin /2020 08:46
SI…, m’avais-tu dit

                             « SI… »

            Œuvre : André Maynet (détail)

 

 

***

 

  

   Tu me disais : « Si seulement la Beauté pouvait briller aux yeux des hommes ! »

   Je te disais : « En eux, les hommes ont la beauté. Mais la beauté est un tel éblouissement, ils n’en perçoivent, le plus souvent, que quelques éclats et ils s’en retournent à leurs tâches avec le cœur léger, l’âme en paix. Cette légèreté, cette paix, ils n’en devinent pas la source, ils n’en conçoivent nullement le mérite venant des choses remarquables, cette rose épanouie sur la soie de laquelle étincelle la goutte de rosée ; ce vallon si frais, cette naissance au jour, les teintes bleutées qui le portent à son être avec la figure de ce qui est inimitable, sans possible analogie, image singulière dans le fourmillement du monde. Cette Jeune Femme qui passe en son inaltérable luxe, tout comme le tien, ce ravissement sans fin à l’orée de toute poésie. Je dis le cuivre pluriel de tes cheveux et je dis beauté. Je dis la claire margelle de ton front et je dis beauté. Je dis l’océan de tes yeux, ses vagues immobiles, leur profondeur d’abysses, parfois, et je dis beauté. Vois-tu, c’est ainsi, la beauté nous est donnée et, le plus souvent, elle nous échappe, rapide filet d’eau dont nos mains malhabiles  ne retiennent presque rien, la fuite  de quelques gouttes. »

 

***

 

   Tu me disais : « Si la Vérité, un jour, se manifestait à l’homme, en aurait-il la subite intuition ? »

   Je te disais : « L’énoncer, déjà en proférer le nom, c’est être en quête de son essence. Mais seuls les Lucides et les Rares sont en possession de cette exactitude du regard. Toute vérité est si bien enfouie en soi, tellement dissimulée derrière le voile des hallucinations, sous les apparats des salons mondains, dans les faux-semblants des rencontres qu’elle ne brille que d’un faible éclat. D’aucuns, prétextant cette anémique lueur, s’exonèrent bien vite du travail ardu qui, seul, conduit à sa trop rare manifestation.

   Si je dis la belle douceur de tes joues, leur faible coloration carmin, cette touche de fraîcheur qui les habite, tu pourras en déduire, connaissant  tout ceci de l’intérieur, si près de l’origine, la profération d’une vérité. Que tu seras à même de connaître puisque des sentiments du type de la délicatesse, de la spontanéité, de la grâce immédiate, tu pourras en juger, seule, l’incontournable réalité. Pour ma part je n’aurai fait que coïncider avec ce en quoi se montre ta belle posture. Alors mon énoncé n’aura consisté qu’à lire adéquatement ce que tu auras donné à connaître dans le bref éclair d’une intuition. Il faut ainsi beaucoup de coïncidences, de hasards heureux, de subites illuminations pour que quelque chose de l’ordre d’une authenticité se dévoile et fasse corps avec une réalité qui lui est attachée. »

 

***

 

   Tu me disais : « Si ceux et celles que nous côtoyons étaient doués de plus de Vertus, combien alors il serait facile de vivre ! »

   Je te disais : « Plein de mérites sont ceux dont tu croises la route. Mais toujours nous avons un aveuglement quant à les reconnaître. Ceci provient du fait de notre naturel narcissisme et de notre inclination à thésauriser tout ce qui est bon, à rejeter tout ce qui nous paraît mauvais, non-conforme à nos jugements de goût et à nos valeurs. Ainsi nous croyons-nous possesseurs des plus hautes instances morales, alors que les autres seraient les détenteurs d’altérations de tous ordres. Pour nous les vertus. Pour les autres les vices.

   Si j’attribue à ton visage sérieux et ouvert une qualité de charité, qui donc pourra en témoigner, sinon ta conscience se plaçant de telle ou de telle manière face au dénuement de celui qui vient à toi ? Si j’attribue à la belle clarté de ton regard, à ton apparente détermination, ta disposition à la persévérance, quoi d’autre que ta conduite face aux aléas pourra donc en témoigner ? Si, observant ton teint si clair, la belle verticalité de ta parution, ton air si affranchi de toute spéculation, j’en ressors convaincu que la Justice t’habite, y aura-t-il autre chose que le contenu de tes propres actes pour en faire émerger le noble penchant ? »

 

   Tu me disais : « Beauté, Vérité, Vertus : points cardinaux de l’homme. Comment pouvons-nous nous en saisir ? »

   Je te disais : « Tu es un être de Beauté, l’arc étonné de ta bouche en est la plus belle des illustrations. »

   Je te disais : « Tu es un être de Vérité, la profondeur de jugement de tes yeux en est la constante oriflamme. »

   Je te disais : «  Tu es un être de Vertu, l’élégant équilibre de ton visage en est l’évidente attestation. »

 

***

 

   Tour à tour, nous sommes des êtres de questions, des êtres de vice, des êtres de vertu. La vérité qui y est à l’œuvre, d’une manière liminale, nous appartient en propre. Nous sommes source, fleuve, estuaire. Les Autres sont sur les rives qui regardent passer les flots. Sans doute ont-ils une opinion à leur sujet : lents, tumultueux, agités, plaisants, furieux, dévastateurs. Seuls les flots savent.

   Tout questionnement est toujours de trop. Seul le silence est la texture première, inaltérée, objective de ces êtres mystérieux qui tressent notre architecture terrestre, ces nervures éthiques qui nous traversent et tiennent debout la demeure humaine. Sur le drapé neutre du silence peuvent se détacher du Beau, du Vrai, de la Vertu. Toute parole qui veut en faire surgir la présence est discréditée par avance à l’aune de son constant remuement, du bruit de fond qui en sape les fondations. Ce qui se donne en tant que qualités essentielles de l’existence ne peut jamais être explicité d’emblée, sauf à tomber dans la fausseté, la naïveté, la gratuité.

   Infiniment pudiques sont ces grâces de l’instant qui jamais ne se dévoilent au plein jour. Si cette Jeune Femme de l’image nous touche à ce point en son alphabet essentiel, c’est bien en raison du mot mystérieux qu’elle tend à notre sagacité. Il nous faut être des déchiffreurs de caractères discrets. Tout hiéroglyphe ne livre ses arcanes qu’aux patients et aux tempérants. Des vertus si rares qu’elles passent inaperçues.

 

   Tu me disais : « Qui suis-je ? - Je te disais : « qui tu es. » Ainsi demeurions-nous dans le secret de l’être. Il n’y avait rien à savoir, ni en-deçà, ni au-delà. Seulement

 

 

  

 

 

 

 

 

 

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