« Trace »
Œuvre : André Maynet
***
Juste un souffle
Pouvait-on dire plus que cela
Juste un souffle
Juste cette diaprure à la face des choses
De l’invisible on ne saurait parler qu’avec maladresse
Pareil à l’enfant tirant les fils de sa marionnette
Pareil à l’Amant dévasté de ne point apercevoir
Le visage de l’Aimée
Une brume à l’horizon du monde
Un monde qui bientôt s’effacera
Laissant l’homme les mains vides
Sur le seuil du Néant
Dans la perte de Soi
Dans l’irréparable de ce qui fuit
Et ne saurait dire son nom
***
Pourquoi cette perte éternelle de l’être
Pourquoi cette douleur fichée
Dans le ciel de l’esprit
Pourquoi cette sourde rumeur
Elle gagne les profondeurs du sol
On en sent l’étrave ambiguë
Dans l’écorce des talons
***
Pouvait-on dire plus que cela
Juste un souffle
Cette diaprure à la face des choses
C’était un vent
Parfois un doux zéphyr
Se levant dans la trace humble de l’aube
Parfois un Noroit qui entaillait l’âme
Jusqu’à la limite d’un souci
Parfois un Harmattan
Et les lèvres saignaient d’effroi
Dans le temps qui venait
***
C’était un souffle
Qui portait le silence
De la parole
Un souffle qui disait l’immensité
De la pliure intime
Quelque part entre le buisson de la tête
Et le nid d’Eros
Simple lueur étincelant
Dans l’ombre dense du corps
***
On prêtait l’oreille
On ouvrait ses yeux
On tendait ses mains
Sur de l’inaudible
De la cécité
De l’inapprochable
Cela résistait
Cela fuyait
Cela demandait la longue patience
Du temps
L’abri de la nuit sans étoiles
La dimension de la grotte native
Avec ses hampes sauvages
Et ses échos marins
Cela demandait
Juste un trait
Pouvait-on dire plus que cela
Juste un trait
Cette ligne infinie sans fin ni commencement
Que dire du trait en sa finesse absolue
Que dire de son abstraction
Qui nous dépouille de notre être
A seulement en observer la nudité
La ressource close dans sa forme même
Trait Pointillé Point de Suspension
Suspens
Dans la cavité de la tête
Et résonnent les enclumes
Et s’allument les forges
D’où naissent de bien étranges figures
Des caravanes de signes
Abortifs
Non encore venus à la présence
Significations tronquées
Elles résonnent dans la levée du corps
Avec les frimas d’un glas
Les glaciations de ce qui
D’habitude
Croît et fleurit dans l’air embaumé
Des fragrances du jour
***
Pouvait-on dire plus que cela
Juste un trait
Cette ligne infinie sans fin ni commencement
On aurait cru une eau forte
Un cuivre si peu incisé par le burin
A la limite d’un renoncement
Quelques griffures
Comme si l’objet de la vision
Devait demeurer
Dans sa propre contemplation
Un secret à ne pas percer
Un bouton de rose
A ne pas déplier
Germe lové dans sa nacre première
C’était comme l’intervalle
Entre les mots
La césure du Poème
Sa vitale respiration
Le rythme qui le portait
Au paraître
***
Juste un geste
Mais pouvait-on demeurer ainsi
Avec la plaine de la feuille blanche
Sa peau doucement duveteuse
Etalant son silence
Sous la meute des doigts
Attendant d’être maculée
De dévoiler ce qui
Depuis toujours dormait en elle
Ce frémissement en filigrane
Cette impatiente
De naître au monde
Pouvait-on
Question valait réponse
Hésitation demandait acte
***
Juste un souffle
Juste un trait
Juste un geste
Trilogie d’une apparition
Visible devenait Trace
Dans le reflux des formes
Juste l’ébène de la coiffe
Juste un lien pour en retenir
L’effusion
Juste deux points
Œil bouche
Juste une ligne sans fin
Un mouvement sans objet autre
Que le simple
Le mot disant en sa retenue
La phrase d’encre
Ses subtils linéaments
Ses doutes parfois
Ses reprises
Ses attouchements
Telle une caresse
Et voici que ce qui n’était pas
Dormait depuis toujours
Dans la face ensommeillée des Hommes
Se donne à voir
Dans l’évidence naturelle
Qui fait silence
Mais que nous entendons
Au creux même
De notre condition humaine
***
Toujours une trace
En Soi
En l’Autre
En le Monde
De ce qui fait Sens
Et nous requiert
Afin que s’éclaire
la Nuit primitive
D’encre elle aussi
Mais trop dense pour que
Nous en dévoilions
L’unique beauté
Toujours l’homme est convoqué
Pour parler
Tresser ce langage
Souffle Trait Geste
Par lequel se dit
Le phénomène
En son paraître
Seule offrande à laquelle
Nous puissions répondre
***
Nous sommes Mots
Que la plume révèle
Que la bouche prononce
Que le geste magnifie
Mots nous sommes