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11 juillet 2016 1 11 /07 /juillet /2016 08:31
Du clair-obscur à l’obscure clarté.

"(...) La peinture au couteau c'est beau,

quand la lame est mûre."

Avec Zoé Mozart.

En écho avec l’image. (Voir l’image ci-dessous).

C’est à peine si la présence du jour fait signe dans le genre d’un retrait. Au-dehors les bruits sont cotonneux, comme étrangement absents à eux-mêmes. Une diagonale de lumière traverse la chambre, glisse sur les murs de plâtre avec la lisibilité d’un songe. Plus haut, une zone d’ombre dit encore la persistance de la nuit proche, son insistance à être, le passé qu’elle porte avec elle, l’empreinte de la mémoire dont elle est tissée. Le jeune enfant dort dans l’insouciance de son âge encore ressourcé à l’innocence du temps. L’image de lui qui nous parvient est hautement lisible, comme sculptée dans quelque marbre exact qui nous dirait la justesse de la présence, la richesse d’une expérience en train de se constituer, fût-elle inaperçue du Sujet, seulement esquissée sur la toile de la conscience. Les ombres n’effacent nullement les zones de clarté, elles jouent simplement en mode dialectique, elles affirment, elles élèvent une belle géométrie qui nous invite à découvrir le luxe de l’instant, l’éclair aussi prompt que non renouvelable. Ici, dans cette intersection de l’espace et du temps, se donne à voir, comme dans une salle de musée, une forme arrêtée, une esquisse sûre d’elle-même, la figure d’une durée suspendue, la mesure de l’homme jeune telle qu’elle pourrait être infiniment si les grains du sablier consentaient, soudain, à se figer, à suspendre leur course dans la gorge étroite de sa geôle de verre. La certitude que de l’être est à profusion, que le sens se condense ici et maintenant, que le réel est ceci, cette attitude d’abandon à soi dans la plus belle confiance qui se puisse imaginer. Il y aurait cet enfant au monde, cette superbe insularité et, tout autour, l’océan de la manifestation, mais comme un murmure, un flux et un reflux si inapparents qu’on n’en saurait rien, ici, entre les cloisons blanches d’une apparition ancrée dans la vérité. Le vrai est toujours ce qui se donne dans la verticalité d’une exactitude, telle le fil d’une lame qui ne brille qu’à être précisément un fil, c'est-à-dire l’unique parmi la pluralité des apparitions possibles.

Cette photographie se propose à la manière d’un oxymore, tout comme celle placée à l’incipit de l’article, dont nous tâchons de comprendre le fonctionnement interne. Oxymore donc. Cette figure de rhétorique réunissant deux termes de sens contraire afin de réaliser un effet de surprise, d’étonnement, telle « l’obscure clarté qui tombe des étoiles », dans Le Cid, nous place au cœur de la nuit, dans le surgissement tragique de la flotte ennemie, ces Maures inquiétants qui semblent une émanation même de l’ombre. Identique effet saisissant, écoulement temporel suspendu, dans El Desdichado de Gérard de Nerval : « Ma seule Etoile est morte, - et mon luth constellé / Porte le Soleil noir de la Mélancolie ». Le Soleil noir campe une vision de fin du monde par laquelle le poète devenu impuissant, serait assailli par l’impossibilité de créer, le luth devenant le symbole d’une mutité que cerne la folie. Ce qui est à remarquer dans l’utilisation de l’oxymore, aussi bien dans l’œuvre littéraire que dans les deux images que nous abordons ici, c’est moins un effet de style purement littéraire, donc une habileté de langage, que la constitution d’une esthétique abrupte, aux angles vifs, aux ombres et lumières tranchées, à l’évidente clarté, au propos si précis qu’il ne laisse aucun doute sur le contenu intentionnel de l’auteur : nous livrer une perception du monde aussi exacte que possible, une dramaturgie dont l’interprétation monosémique nous reconduit à nous situer, d’emblée, dans le domaine des certitudes, à écarter toute ambivalence qui nous égarerait dans d’invraisemblables hypothèses ou bien des suggestions sans fin. Corneille, Nerval, Ronis, le Photographe de l’œuvre placée en épigraphe veulent tout simplement nous amener à l’évidence d’une situation : le tragique dans Le Cid ; le surgissement de la folie dans El Desdichado ; l’innocence originelle dans Vincent dormant ; la quiétude dont Zoé Mozart est l’exacte illustration. Hors ceci, hors le sceau imprimé dans la cire de notre entendement de cette justesse du regard, tout autre essai de prononcer le réel serait mis hors jeu. Il y aurait, à seulement contempler ces belles images, à lire ces inoubliables vers, comme la fulgurance d’une apodicticité, laquelle serait l’exact envers de l’illusion, du soupçon ou de l’indécision. L’oxymore serait le procédé par lequel, élevant de clairs contrastes, la vision se doterait d’une manière adéquate de considérer les choses.

Du clair-obscur à l’obscure clarté.

« Vincent dormant »

Willy Ronis

Source : Pinterest

L’image en elle-même.

Du clair-obscur à l’obscure clarté.

Les ombres nocturnes sont encore si présentes qu’elles sembleraient vouloir faire le siège du jour, ne pas céder la place, garder encore cette trace du passé qui renonce à mourir. Le travail de la mémoire n’est rien d’autre que ceci, garder la saveur du fruit, son goût sucré, glacer le palais des fragrances qui l’ont habité, l’ont porté à la plénitude d’être dans un sentiment si ineffable que procéder à son effacement serait un acte de pure inconscience, de renoncement à soi. Alors la densité noire veut continuer à se dire bien au-delà de ce qu’elle fût dans l’instant, revendiquant sa part d’éternité. Mais le jour est là qui se lève, polit son arête de silex, entaille la nuit de sa nécessité de figurer, d’imprimer une nouvelle temporalité, d’écrire une fable neuve sur la page de l’exister. Lutte immémoriale qui fait s’affronter le blanc et le noir, la brillance et son contraire, cette suie du sommeil, ce bitume de l’inconscience, ces ténèbres de l’inconnaissance. Quiétude est là dans le luxe du paraître. Sa chevelure est un buisson noir qui se hisse des limbes avec la douce certitude d’en être séparée, d’en constituer la forme heureuse s’esquissant sur un fond incompréhensible, mais mis à distance, reconduit à son abstraite texture, à la confusion d’un langage venu de si loin qu’on n’en perçoit plus que des mots indistincts, des balbutiements, des bruits de galets roulés par les flots de la nuit. Le visage resplendit, demi-ovale que rehausse la palme d’une douce lumière, pareille à un lac couché sous l’opalescence de la Lune, l’œil vient s’y inscrire à la manière d’un simple feu-follet, d’une persistance de la conscience dans la dérive de l’heure, l’arête du nez en interrompt le voyage afin que tout demeure dans l’aire ouverte d’une compréhension. Au loin, une épaule émerge d’une brume indistincte pour mieux affirmer sa présence discrète. Le bras, l’avant-bras sont un pur mystère s’extrayant du silence de la nuit. On les dirait presque immatériels, animés d’une clarté interne alors que la partie invisible de la tête y prend appui tel un enfant conscient de trouver sur le sein maternel la patrie dont, jamais, il ne pourrait se séparer qu’à mettre son existence en danger. L’opacité est si effrayante qui fait sa mare cernée de mort, de repli dans la bouche négative du Néant.

Image portée à son acmé. Puissance des contrastes, nécessité de l’oxymore à se dire dans « l’obscure clarté », dans cette parution de l’être qui annule le Néant, lui substitue le jeu de la pure présence. Quiétude qui pourrait encore se dire Sérénité, Clairière de l’être dans la densité ombreuse de la forêt. Tous prédicats faisant se lever la justesse d’un langage qui parle tout autant au souci esthétique, à l’inclination de l’âme à trouver son exacte courbure, à l’exigence de l’intellect à découvrir le concept qui l’accomplit comme son intuition la plus aboutie.

Du clair-obscur à l’obscure clarté.

Ce qui paraît ici avec la plus belle pertinence, c’est la distance, l’opposition, la dialectique pour le dire en terme plus exact qui fait se dresser comme deux entités antagonistes deux esthétiques irréconciliables. Ce que le clair-obscur fait apparaître tel que chez ses Maîtres les plus éminents (Léonard de Vinci ; Georges de La Tour ; Rembrandt), sous la forme d’une réalité aussi intuitionnée que floue, indistincte, simple suggestion dont le Voyeur de l’œuvre aura à accomplir la synthèse à l’aune de son propre regard, « l’obscure clarté » (l’oxymore) le livrera dans une manière d’évidence, de totalisation à laquelle, bien évidemment, il n’y aura rien à retrancher ou à ajouter, tant l’apparence si parfaite, le jeu fini des ombres et des lumières, la netteté de la rhétorique, la précision des lexèmes constitueront les fondements mêmes d’une vérité à l’œuvre. Face à Quiétude, face à Vincent dormant, nous demeurons en silence, nous n’avons nullement à nous questionner, à saisir quantité d’esquisses signifiantes puisque, en une seule et unique représentation plastique, tout est dit d’une position de l’être-au-monde, une pause dans le mouvement du quotidien, une halte entre ce qui fut et ce qui sera qu’affirme l’éclair d’une parution, la mise entre parenthèses de la thèse par laquelle l’univers nous apparaît comme un inaccessible, un divers, une profusion, une corne d’abondance, un irrépressible flux parmi lequel nous nous débattons à défaut d’en pouvoir saisir l’essence.

A la vue polychrome, fuyante, à la multiplicité des perspectives qui peuvent toujours se glisser dans l’intervalle ménagé par le clair-obscur puisqu’il oscille toujours entre deux formes, deux modes de figuration, l’obscure clarté substitue l’unique vision de ce qui pourrait apparaître en tant qu’un intelligible dont l’aspect invariant nous rassurerait et nous mettrait en mesure de fournir à notre naturelle curiosité les assises par lesquelles, au moins temporairement, apaiser nos doutes. Merci Quiétude de nous ménager cette halte. Le repos est toujours un luxe !

Du clair-obscur à l’obscure clarté.

Autoportrait avec fourrure,

chaîne en or et boucles d'oreille (ca 1656-57)

Rembrandt.

Source : Wikipédia

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