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22 janvier 2016 5 22 /01 /janvier /2016 09:34
Quelque part hors du monde.

« Quand un ange passe ».

Œuvre : André Maynet.

Sur lui, l’Ange, il y avait quantité de discours, pléthore de croyances et une infinité de rêves dont on ne pouvait saisir que d’invisibles fils, comme autant de pleurs de la Vierge. Au demeurant, parlant de l’Ange, on ne savait pas très bien au sujet de qui on s’exprimait. De la mythologie célestielle, du carrousel d’entités translucides situées hors du monde, de la femme désirée et toujours inaccessible ? Alors on disait, alors on baguenaudait, alors on se référait aux « Grands Hommes » afin que, du haut de leur science, ils vinssent poser sur nos âmes meurtries le baume de l’apaisement.

Les plus optimistes ou peut-être les plus naïfs, tant l’une de ces conditions dissimule l’autre, disaient, citant Bernanos :

“Dans chaque petite chose, il y a un ange.”

D’autres, évoquant une phrase issue de « Fêtes de la patience » de Rimbaud faisaient allusion aux espaces ouraniens comme l’image la plus accueillante de son être :

“Le ciel est joli comme un ange.”

Enfin, d’autres, possiblement esthètes, en référaient aux paroles de Michel-Ange, le bien nommé :

“J'ai vu un ange dans le marbre et j'ai seulement ciselé jusqu'à l'en libérer.”

Et, lisant ceci, l’on s’apercevra que de l’Ange on traçait les contours flous sans jamais l’avoir vu, sans nullement l’avoir placé dans une aire préhensible, sans avoir entendu le son de sa voix. Il en est de l’invisible, de l’inapproché, du supposé comme des territoires d’Utopie enfermées dans leurs cercles concentriques d’imaginaire qui disparaissent à même leur évocation. Et pourtant l’Ange existait et de façon si évidente qu’on en était possédé en son entier tout comme un jeune nourrisson se confie au sein de sa mère qu’il ne voit plus à force de l’halluciner et de le faire sien, infinie dyade où le sujet se confond avec l’objet même de sa quête. Or, indubitablement, l’Ange on ne pouvait le fonder en raison, on le confiait à la fonction intellective de l’être, on le dissimulait si bien dans le creux de quelque secret qu’on avait fini par le rendre transparent, inaudible, dénué du toucher qui eût pu nous le rendre perceptible. En fait l’Ange c’était nous puisque, aussi bien, on ne pouvait jamais l’éprouver que dans son enceinte de peau et nullement à l’aune du discours de l’autre. S’il était, il ne pouvait être qu’à l’intérieur de notre citadelle. Mais, peut-être, l’avions-nous simplement inventé ! Donc le réel était là avec sa charge d’ambiguïté et son incontournable mystère. Nous étions ce que nous cherchions à savoir mais ne l’entendions pas. Et limiter notre compréhension à cette très vague intuition ne laissait pas de nous réjouir car l’inconscience, parfois, est le meilleur viatique que nous puissions nous administrer afin de demeurer indemne de fâcheuses opinions narcissiques. Peut-être étaient-ce les joyeux hédonistes qui vivaient dans la félicité le rapport à l’Ange, sans même se poser la question de sa nature. Ou bien encore vivions-nous sous l’autorité des paroles pascaliennes sans bien en percevoir la portée. Car, en effet, comment regarder adéquatement la formule célèbre autrement que dans sa dimension première, à savoir que souvent, nous les hommes, oscillons pour le pire et le meilleur entre Terre Promise, Charybde et Scylla. Une fois dans le souverain Bien, une fois dans la Chute. Et, la plupart du temps l’assertion de l’écrivain des Pensées, nous la prenions à la légère comme si elle ne résultait que du constat d’un quotidien dont il convenait d’oublier les événements aussi vite que passaient les secondes.

“L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête. ”

A approcher notre regard du concept, les choses s’éclairaient d’étrange manière. Car faire l’Ange voulait dire renoncer au feu de ses passions et devenir semblable aux dieux. Faire la bête n’en étant que la sombre contrepartie indiquant la faiblesse de l’homme, son incurie à s’élever, son inclination à sombrer dans la soue animale et à enduire son corps d’une irrémédiable fange. Ici se disait, en termes anodins, une réalité qui ne l’était pas, dont la face la plus lisible traduisait la grandeur de l’homme en même temps que sa constante misère. Et, afin que son allusion ne demeurât pas dans le flou, le Moraliste ajoutait :

« Il ne faut pas que l’homme croie qu’il est égal aux bêtes ni aux anges, ni qu’il ignore l’un et l’autre, mais qu’il sache l’un et l’autre. »

Ainsi le savoir, pour élever son âme, devait faire une sorte de grand écart ontologique entre l’Ange et la bête mais afin de les rassembler, finalement, en une même intuition. Sans doute convenait-il de passer d’un état à l’autre de façon à ce que, instruit des deux conditions, notre esprit pût démêler le bon grain de l’ivraie. Il fallait donc admettre que le fond de notre nature fût en perpétuelle guerre, en continuel conflit avant même que nous pussions consentir à choisir l’étoile plutôt que l’infime mesure du ciron.

Mais il faut maintenant sortir de ces bien sérieuses considérations métaphysiques et donner site à Celle qui a orienté notre parole en direction de ce qui la dépasse mais aussi nervure son être. Car sous l’innocence dort toujours la bête peccamineuse. Nous ne regarderons que l’innocence. Du moins si nous en sommes capables. La nôtre donc puisque c’est nous qui sommes l’Ange, parfois. Mais laissons parler Celle qui nous fait face dans son insondable même, dont jamais nous ne descellerons le secret :

« C’est si troublant de sentir en soi comme une étrange marée, des flux et des reflux auxquels il faut intimer l’ordre de demeurer dans la quiétude, de connaître l’oubli afin qu’une perspective angélique se puisse dégager de Celle que je suis, au moins dans la grâce d’un instant. Derrière moi se dresse, dans un halo indistinct, le fond dont je proviens qui semble n’avoir point d’origine comme si j’étais née du Rien pour mieux y retourner ensuite. C’est si éprouvant d’être et de ne le savoir que dans l’indistinction. De moi l’on dit le visage de plâtre ou bien de gypse, la figure de mime triste, l’oblongue mélancolique, le regard oblitéré par une naturelle modestie. Il faut cette réserve. Il faut cette humilité et, ainsi, le tumulte intérieur s’affaisse et éclot la fleur de Lotus, cette perfection qui ne dit rien, n’affirme rien, se déploie seulement dans la blancheur de sa corolle. Mes traits sont si effacés. A peine l’arc plus sombre des sourcils. La tige droite du nez. La pliure des lèvres closes sur le silence. Les cheveux glissent infiniment le long de ma tête, geste de réserve et de repli, tout comme les yeux se dissimulent à l’ombre des paupières. Et mon cou, cette perte vers l’aval du temps, cette fuite qu’effleure à peine la mousseline du linge, ses plis ourlés de cendre fine, son amplitude qui cache mon corps et le reconduit à l’anonyme de la jarre, de la jarre qui résonne infiniment de son vide intérieur. Un bras disparaît dans l’étole de la vêture comme s’il n’était commis qu’à se saisir lui-même, à ne connaître que la pureté, à ne jamais éprouver la souillure. Et ma main, cette conque souple qui retient l’écume du tissu, laisse à peine deviner le doux gonflement de ma gorge qui nourrit la poésie et réserve aux dieux leur singulière ambroisie. Oui, des plumes volent tout autour de ma silhouette, tout comme les colombes tissent de leur vol discret la toile de la paix, du repos, de la plénitude d’être. Non, ne parlez pas ! Offenser le silence c’est déjà ouvrir la porte à ce qui entaille, se disperse dans le multiple, chatoie et traverse l’espace avec ses miroitements, ses apparences, ses reflets infinis. D’ailleurs, ce que vous entendez là, je n’en ai prononcé nulle parole. Comment les mots pourraient-ils franchir le sceau de mes lèvres jointes, faire leur grésillement dans l’air étonné ? Les mots n’ont été que les vôtres. Seulement les vôtres. Vous n’avez pas parlé, me dites-vous ? Jamais les Anges ne parlent, ils pensent seulement et leur chant envahit le ciel de leur belle complainte. Alors cessons de penser, voulez-vous ? Rien, jamais, n’égale le silence ! Ainsi se scelle le mystère de l’être. Dans l’épuisement du langage. Je me retire avant que vous ne tentiez en moi la bête. Ce serait infiniment triste d’échouer sur les rivages qui ne s’ouvriraient qu’à me confondre avec le félin, fût-il Abyssin ou bien Sphynx. Sans doute est-il préférable que je dissimule mes griffes, ne pensez-vous pas ? »

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