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5 août 2015 3 05 /08 /août /2015 08:00
Le sourire radieux du crépuscule.

" Sous les derniers rayons ".

Photographie : Alain Beauvois.

« Après trois semaines dans mon si cher Gers et, osons le mot « paradisiaque » à Collioure, il me faut songer à rentrer, à retrouver la Mer du Nord, Calais, famille et tous les amis de ch'Nord...
Je posterai ultérieurement une série cartes postales sur la merveilleuse Côte Vermeille que j'aurai beaucoup photographiée...
Je préfère, pour le moment, poster une dernière photo, non retouchée, que j'ai prise à côté de mon petit chalet du Lac Fou, en Bas Armagnac. Elle a été prise vers 21 h30 il y a une dizaine de jours, Un quart d'heure plus tard, le soleil aura complètement disparu. Il régnait sur le lac une incroyable quiétude bercée par les derniers chants des oiseaux, nombreux ici. Durant toutes ces vacances un couple de « rouge-queue » aura élu domicile sur la terrasse. J'aurai ainsi vu grandir, avant leur envol, cinq adorables (et bruyants …) oisillons, nourris sans cesse par le couple de parents, épuisés.21h30 : les oisillons s'endorment enfin, les parents se reposent, le soleil va se coucher et moi aussi. Les grenouilles se mettent à chanter, les premiers rapaces nocturnes se manifestent, les coucous se font entendre, les carpes sont très actives, les chevreuils vont venir, discrètement, se désaltérer. Demain, cet autre jour, il y aura tant, encore, à découvrir, à vivre et à photographier. »

A.B.

Ce qu’il faut faire, ceci : trouver un coin de nature, si possible au bord d’un lac retiré et se laisser emplir du chant de la nature. Seul parmi la solitude. Seul hors du monde remis à son propre affairement. Une toile de tente suffira à ouvrir l’espace d’une sérénité ou bien, à la rigueur, la géométrie simple d’un chalet en bois. L’essentiel est cette manière de retirement des choses, de contact direct avec ce qui croît sous l’horizon, de dialogue avec l’oiseau, la loutre, le ver dans son tube de terre. C’est le soir, cette heure attentive à sa propre révélation après que la chaleur enfin tombée laisse place à une fraîcheur discrète. Soudain un calme surgit de tous les endroits à la fois, un silence identique à celui des grottes sous-marines. De rouge, puis orange qu’il était, l’air est devenu plus transparent, s’habillant de teintes claires, un vert émeraude à la hauteur des bouquets d’arbres, puis une simple nuance de céladon à la limite de l’eau avec des liserés d’or accrochés aux hautes herbes. Le reflet dans le lac, l’image réverbérée par la pellicule d’eau ouvre le dessin d’une large bouche. Apaisée, comme pour dire la sérénité du lieu, le calme à observer, le mystère de la nuit proche que le crépuscule précède de cette marche souple sur la pointe des pieds. L’instant est si rare alors, temps immobile, mouvement suspendu et c’est comme si, déjà, l’on n’était plus là, en partance pour quelque endroit cerné de mystère, empli d’ombres accueillantes. Le crépuscule est au jour ce que l’automne est aux saisons : le retrait progressif de la lumière, son inclinaison sur la ligne d’horizon, sa disposition à entrer dans le froid, la rigueur, l’exactitude des choses que l’été avait entaillée de la lame tranchante de ses excès, de l’amplitude de ses humeurs solaires. C’est comme un repos qui s’annonce. C’est le rêve proche de la dimension nocturne qui se précise dans les cernes soutenus des taillis. Ce sont les illuminations de l’imaginaire qui brillent de leurs doux éclats, donnant aux arbres et aux herbes cette aura indéfinissable. A la regarder seulement et nous sommes en voyage pour plus loin que nous, bien au-delà de nos corps assidus, de nos esprits entravés par la marche du quotidien.

Dans le « V » ouvert de la toile de tente ou bien sur les planches de la terrasse, on se coule simplement dans le paysage comme l’une de ses esquisses. Non en tant qu’humain assurés de la « mesure de toute chose ». Placés là, dans l’encoignure du paysage, nous y jouons notre humble partition, à peine plus haute que le grésillement de la cigale ou le vol stationnaire de la libellule. C’est le monde qui vient à soi plutôt que nous n’accomplissons le trajet dans sa direction. Les choses de la nature ont ceci de particulier qu’elles procèdent elles-mêmes à leur déploiement sans qu’il soit besoin d’y mettre son « grain de sel ». Tout dans l’évidence heureuse de naitre, croître, mourir au sein de sa propre genèse et de n’en occulter le moins du monde le luxueux accomplissement. Car exister jusqu’en son tréfonds, c’est ceci : accepter de n’être qu’une courbe d’étoile blanche avec son aube, son zénith, son crépuscule et faire de cette connaissance un tremplin pour la joie.

Bientôt la nuit sera là qui fera son étole noire endeuillant toute chose. Mais, pour autant, rien de la vie n’aura disparu. Il faudra seulement se disposer à regarder autrement, avec l’œil de la dame-blanche. Il faudra consentir à se saisir de la réalité avec des griffes de rapace, non dans la violence apparente, mais dans le souci de s’entendre avec la confidence nocturne, munis des outils adéquats à sa compréhension. Car, alors, tout sera signifiant et l’on sera, là, sur le plateau de planches, un sémaphore attentif clignotant de conserve avec la totalité des choses présentes. Fragment, cristal vibrant à l’unisson du proche et du recueilli. Avec la cistude, on éprouvera la douceur de l’abri, on ramassera son corps dans la coque de corne et on connaîtra la valeur de l’habiter, le recueil du soi dans ce que la main de l’homme a façonné de plus précieux, cette grotte primitive à laquelle nous sommes originellement reliés alors même que notre mémoire n’en porte plus l’empreinte fondatrice. Avec le héron nous nous tiendrons perchés sur nos longues échasses, la bille de notre œil brillant de l’éclat du silex, en attente de la proie qui, bientôt fera notre ordinaire. Alors nous aurons conscience de notre posture de chasseur-cueilleur enfouie quelque part dans un repli de notre condition reptilienne. Avec la genette nous apprendrons la valeur de la vêture, la beauté de l’apparence, la nécessité de ces taches sombres sur la robe claire afin de passer inaperçus dans la société de nos ennemis, aussi bien de nos amis, parfois. La discrétion est toujours une possession, non l’inverse, une perte ou un manque-à-être. En compagnie de la loutre l’évidence se fera jour de la nécessité de nager entre deux eaux, de composer avec chacun, de retenir plutôt les colonies de bulles claires que les eaux croupies, de laisser filer le limon et de poursuivre son chemin d’eau avec la tranquillité d’âme de celui qui a su trier « le bon grain de l’ivraie ».

Pendant ce temps de ressourcement au contact du peuple du lac, la nuit aura tout revêtu jusqu’à la moindre brindille et ce qui s’apercevra encore sera le travail d’une force interne du vivant, une sorte de phosphorescence comme si un savoir l’habitait de l’intérieur, portant jusqu’à nous ses rayons fécondants. Depuis l’étendue morne des friches nous parviendra la tache assourdie de la « goutte de sang », cette fleur si simple, cet adonis nous invitant à méditer le sacrifice humain, la valeur du sang versé, la frénésie de la guerre, la stupeur attachée aux génocides, aux blessures infligées aux corps et aux consciences. Ce que l’on apercevra aussi, pareille à un léger brasillement dans le tissu de la nuit, la fritillaire pintade, sa clochette fragile inclinée vers le sol, la belle régularité de ses pétales lancéolés. L’art surgira du cœur même de l’obscur, ces mêmes fritillaires que Vincent Van Gogh peignit un jour de 1887, avec le solaire du vase de cuivre, mais aussi les touches pointillistes de l’arrière-fond, lesquelles font penser à « La Nuit étoilée », autre toile de Vincent où la folie le dispute au sublime. Nous serons aussi visités par le bleu-parme du lupin, par sa corolle discrète, pas son message de repli discret parmi le sable et les graviers du rivage.

L’espace d’une nuit, dans l’anonymat de la nature, l’on se sera fondu dans l’univers fascinant de la flore, dans celui, secret, de la faune qui habite mais se dissimule. Y aurait-il danger à paraître, à tracer son sillon dans la glaise du monde ? Quoi qu’il en soit, dans le creuset de son cœur on emportera la lumière vive du genêt, dans son esprit les étoiles bleues du myosotis, dans la conque de ses oreilles le chant aigu de la bécassine des marais, ce genre de langage en pointillé disant le temps qui passe. Au fond des yeux, dans un pli de la pupille, sera gravée l’image polychrome du tadorne, son bec corail, sa tête couleur de chrysocolle, l’éclair blanc de son plumage, ses ailes de cornaline, la courbe parfaite de son corps glissant sur le calme des eaux. Tout ceci on l’aura en soi dans quelque antre secret de son corps et, revenant parmi la communauté des hommes, l’on arborera ce sourire que beaucoup trouveront étrange, ce « sourire radieux du crépuscule », cette joie intime que connaissent les aventuriers du simple. Une façon d’être dans l’immédiateté des choses, le secret de leur déclosion. Peut-être n’y a-t-il que cela à connaître, le langage tel un murmure qui fait ses floraisons à fleur de peau. Oui, à fleur de peau !

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Published by Blanc Seing - dans Mydriase

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