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15 mars 2015 7 15 /03 /mars /2015 09:42
Insularité de l’être-existant.

« Les Morcelés ».

Œuvre : Sandrine Blaisot.

Etrange image, tout de même, que ce visage souriant derrière sa paroi de verre. La qualité plastique est évidente mais, ici, nous retiendrons moins son versant esthétique que sa propension à verser dans une manière de métaphysique que l’on pourrait qualifier « d’abrupte ». En effet, si la physionomie semble dévoiler un genre de « bonheur triste », cette façon de voir les choses réduit la réalité à ce qu’elle ne saurait être, à savoir un continuel et fluent ravissement. Une simple acceptation résignée de ce qui coule vers l’aval et nous entraîne dans son flot.

La seule présence du bocal, cette geôle apparemment bucolique, nous intime l’ordre de nous y retrouver avec l’exister. Et ceci, sans qu’une halte, un repos puissent être trouvés qui éluderaient la question fondamentale que nous pose l’image. Cette question : « Sommes-nous réellement libres ou bien ne s’agit-il que d’un miroir aux alouettes ? ».

Nommant son œuvre « Les Morcelés », l’artiste nous fournit un schème éclairant de la compréhension qui peut immédiatement s’installer dans notre rapport à l’œuvre. Notre liberté est ce morcellement par lequel nous n’apparaissons que dans l’intervalle de deux néants. Ce néant, cette « irreprésentable représentation » pour procéder par oxymore, est ici représenté par deux sites totalement noirs, l’un adossé à notre pré-parution mondaine, l’autre à notre post-parution. D’une mort l’autre. Car, aussi bien, ne pas encore vivre, comme ne plus vivre ne sont que les déclinaisons d’un même état, celui de la mortalité. Si l’essence de l’homme apparaît le plus souvent comme son langage, sa finitude est sa possibilité la plus manifeste, celle à laquelle il n’échappera pas.

Mais revenons à l’image de cette personne sur ses vieux jours qui, derrière sa mince vitre, esquisse un sourire anticipateur de la mort. Car, en réalité, c’est de ceci dont il est question : du geste de Thanatos qui nous restitue, en même temps qu’il nous condamne à ne plus être, la totalité de l’être, autrement dit la liberté suprême dont nous étions en possession avant de surgir sur la scène du monde. Car n’être pas, c’est posséder toutes les possibilisations de pouvoir être, un jour, de telle ou de telle manière. C’est toujours dans l’attente et la réserve que se maintiennent nos hypothèses d’être, prédicats qui, non encore actualisés, nous mettent en position de choisir et d’effectuer un destin. Nés à nous-mêmes, nés au monde et déjà nous avons perdu notre bien le plus précieux puisque nous sommes des « êtres-jetés », des silhouettes de carton-pâte engluées dans l’inévitable déréliction, de tremblantes apparitions dissimulant dans leurs plis hémiplégiques la formule définitive de la finitude.

Or, qu’en est-il de l’être dans son cheminement sur Terre, si ce n’est d’assumer la geôle d’une infinie solitude ? Les autres, le monde, tous nos alter egos qui agitent leurs sémaphores devant notre visage blême, ne sont que des oiseaux de passage migrant chacun pour son compte vers le lieu de sa ponte finale. Nous ne sommes que des insulaires. L’altérité n’est que le jeu que nous animons et vient mourir sur notre face pour nous donner l’illusion que quelque chose comme un radeau existe sur lequel nous pourrions être sauvés. Cette belle création de l’artiste, nous devrions l’affecter du beau prédicat de « bocalité », sinon de « bocalitude », fondement par lequel nous disparaissons à même notre apparition entre deux clignotements de néant. Ce sont toujours les néologismes, c’est-à-dire les créations langagières qui nous sauvent d’un cruel désespoir. Soyons donc ces « bocalitudes » l’espace d’un clignotement et rions à la mort qui nous guette dans l’ombre. Nous n’aurons guère d’autre alternative pour sauver les apparences que d’esquisser ce rictus. Il dit notre vérité mieux que nous ne saurions la dire, nous, avec des mots. Là est la force de l’art : nous déposer sur les rives de l’indicible et se retirer dans la solitude de l’empyrée dont il provient. Ceci est à méditer avec soin. Nous n’avons d’autre choix que de nous y préparer !

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