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9 mars 2015 1 09 /03 /mars /2015 09:27
Etonnée d’être.

« Puberté »

Alexeï von Jawlensky.

Source : Eternels Eclairs.

C’est si troublant de surprendre une métamorphose en train de s’accomplir. Encore enfant avec la sagesse des nattes, les yeux absents au monde, interrogeant quelque question informulée. Peut-être l’étrangeté de la naissance. Ou bien les pattes de mouche du destin, sa marche de cristal, sa perte dans l’invisibilité des choses. Les couleurs sont à la peine, vaguement amniotiques avec des souvenirs d’outre-naissance, des sons aquatiques, des dialogues flous comme venus d’étonnantes catacombes. Le néant est encore si proche qui fait son bruit de succion, ses cataractes abortives, ses incantations de soufre.

Et pourtant l’âge est si proche, sur la pointe des pieds, qui ouvrira, toutes grandes, les portes de l’âge adulte, l’âge de raison puis la force de l’âge, puis le déclin et le cercle aura été parcouru dont on n’aura perçu ni le commencement, ni la fin. Une vie, cependant, aura eu lieu avec ses joies, ses feux de Bengale, ses lueurs éteintes, ses consternantes tragédies. Dans ce visage, il y a comme une hésitation à s’engager, une tentation à demeurer en arrière de soi, à se laisser bercer par les rives de l’enfance. Et déjà, pourtant, en filigrane, la femme se dessine. Le rose des pommettes qui dit l’émotion du premier amour, le nœud pourpre et le désir qui le maintient dressé pareil à un fanal, le carmin des lèvres qui énonce la gourmandise de vivre, d’épuiser les plaisirs jusqu’à se confondre avec le vol du papillon, la brûlure de l’alcool, la fièvre de l’amant.

C’est tout cela que nous dit le peintre. L’emploi de couleurs complémentaires aux tons violemment opposés est cette polémique qui s’installe entre la période de latence et celle de la turgescence, du bondissement dans l’existentiel bandé comme un arc. Quant au regard, s’il paraît absent, ce n’est que pour mieux nous abuser, nous, voyeurs naïfs. Il est déjà ce phare, certes retourné dans un mystérieux en-soi, mais aussi questionnant, avec la plus belle acuité qui soit, cela qui s’étend devant et appelle vers le somptueux destin, autrement dit la mort qui donne sens et amplitude à ce que nous sommes, là, dans le bref éclair d’une soudaine illumination. C’est pour cela que cette peinture est belle. C’est pour cette raison que nous nous y attardons.

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