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28 avril 2023 5 28 /04 /avril /2023 10:13
La chaise en ton absence.

Septembre 2014© Nadège Costa

Tous droits réservés

***

   "Elle te dira certainement En murmures du soir L’affolement de ses yeux Soudain d’être sans miroir Puis te confiera bien fragile Que si son homme est au loin Demain en aube naissante Elle sait qu’il lui reviendra Et la nuit se pose si belle En ses épaules nues encore Et le temps s’émeut du soir Qui l’emporte songeuse au loin" "La femme assise".

Thierry Crépin-Leblond

*

   La chaise est là, au contre-jour du voile, la chaise est là en ton absence. C'est à peine le jour et pourtant déjà la nuit. Il fait si froid soudain et les ombres tressaillent et les ombres se blottissent. Qui donc a prononcé les lèvres du jour ? Qui donc a posté le doute à l'angle de ton front ? Les pierres dérivent dans le silence. Les rues sont éteintes. Les réverbères pleurent. Auras-tu au moins une larme à poser sur le seuil de la porte ? Car, je le sais, tu vas revenir, comme les nuages glissent dans le ciel, comme l'eau coule de la source.

   La chaise est là, au contre-jour du voile, en attente de toi. De tes jambes longues, de ton assise de reine. De ta cambrure d'acier. Oui, d'acier car tu dures plus que le temps lui-même. Tes cheveux sont des vrilles qui disent la beauté. Tes hanches le reposoir où accueillir ma tête. Ton bassin le recueil de la volupté. Ton ombilic une perle. Mais qui donc pourrait, mieux que moi, dire ton poème ? Qui mieux, dire l'azur de ton souffle ? Qui, dire les lianes de tes mains ? Et la musique qui coule de ton sexe, et le rythme souple de tes reins ? Qui ? La chaise est seule qui dit ton absence. De toi, d'abord. De moi, du monde. Car ton assise est ici, au plein de la lumière, dans les plis de l'aube. Cela tu le sais, mais tu t'obstines. Ta volonté est une boule de mercure. Qui, incessamment roule ses billes. Qui rutilent sur ton front de princesse. Tu le sais, mais tu t'obstines. A faire l'enfant. A déplier le rouleau des caprices. A faire attendre la nuit.

   La chaise est là, au contre-jour du voile. La vois-tu depuis ta retraite ? Depuis le calice ouvert de ta chair. Car, je le sais, tu es épanouie, vacante, disponible à la caresse du vent. Le zéphyr a bien de la chance. De te visiter en cet antre des plaisirs. Des douleurs aussi. Tu enfantes toujours l'isthme de tes douleurs. Tu fécondes la souffrance. Tu en plantes le pieu chauffé à blanc. En ton centre. Oui, en ton centre rubescent. C'est le volcan qui t'habite, cette rouge passion, le cerne de tes yeux, la pliure de ton sexe. La chaise est là, absente de toi, attendant ta braise. Au moins, as-tu vu son désarroi ? Son inclination à la mélancolie. Elle est désertée de toi. Son assise orpheline. Ses barreaux et ses pieds. Sans toi. Qu'ont-ils à dire sinon à proférer dans le silence ? A endurer leur peine de bois.

   Mais le voile a bougé. Mais le jour arrive. Sur la pointe des pieds. Mais tu le précèdes et le feu de ta cigarette brille dans le gris. Je savais l'heure de ton retour. C'est toujours ainsi, tes longues escapades. Puis la lassitude. Puis la chute. Toujours en chute de toi. Oui, je te vois. Ta tête est encore dans l'ombre. Ton buste incliné comme pour une prière. Tes bras bien droits. Tes poignets en col de cygne. Tes doigts ruisselant vers le sol. A peine une cendre sur l'assise et tes jambes qui coulent vers l'aval de la pièce. C'est si émouvant de te deviner dans l'approche du jour. De te savoir si proche, alors que tu demeures sur un mont éloigné. Y a-t-il du brouillard, là-haut ? Y a-t-il le vol d'écume des oiseaux ? Le chant d'amour des libellules ? C'est si troublant. Non, ne bouge pas. Reste là dans la demi-présence. Dans le cerne de l'exister. C'est ainsi que tu es la plus belle. Insaisissable. Hors de portée. Mon simple contact te brûlerait. Tu serais pluie, puis brume, puis … plus rien ! Demeure là, collée contre ton ombre. Tu n'as pas d'autre lieu où naître à toi.

   La chaise est là, au contre-jour du voile et je t'attend … La chaise est là, au contre-jour du voile.

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